insi donc, le prix payé par la France pour la libération des infirmières bulgares était un réacteur nucléaire. C’est du moins ce que l’on ne se peut s’empêcher de penser vu le calendrier de ces derniers jours. Officiellement, cette libération était un préalable à la visite du président français, circulez, il n’y a rien à voir. Mais il serait intéressant de savoir quand cette idée un d’un réacteur nucléaire a germé dans les hautes sphères du pouvoir français. En tous cas, le président français a pris bien soin de ne pas répondre, le 24 juillet dans sa conférence de presse, à une question qui, citant Sortir du nucléaire, faisait un lien entre la libération et le réacteur libyen.
Selon Sarkozy, Kadhafi a décidé en 2003 «d’abandonner toute ambition d’avoir l’arme nucléaire» (arrêt d’un programme de recherches, exigé par l’ONU). Et donc le colonel n’a plus d’yeux que pour l’atome civil. Mais que peut donc faire la Libye d’un réacteur, sans doute EPR? Car à n’en pas douter, vu qu’il n’y a qu’un constructeur français, Areva, et ce dernier n’entend plus vendre que son dernier-né, le fameux réacteur pressurisé européen (EPR).
De l’implantation exacte, on ne sait pas grand chose, si ce n’est qu’il devrait être construit au bord de la mer. D’abord parce que c’est le seul moyen de refroidir le réacteur, et aussi parce qu’il parait que l’EPR libyen servira à dessaliniser de l’eau.
La Libye a soif. Kadhafi avait déjà fait creuser la Grande rivière artificielle, un pipeline géant qui alimente les grandes villes (Tripoli, Benghazi) depuis le désert, transportant l’eau d’une nappe fossile dont la durée de vie est estimée à quelques décennies. Les deux milliards de mètres cubes annuels qui viennent irriguer les immenses exploitations agricoles seraient donc insuffisants? (lire le reportage de Martine Le Bec-Cabon, que Libération avait publié en 2003).
Pour ôter le sel de l’eau, le plus simple est d’utiliser de la chaleur pour vaporiser l’eau captée dans la mer. On récupère une eau parfaitement pure, ou presque. Avec de l’électricité, on alimente un processus d’osmose inverse, une sorte de pompe à sel, qui capte les minéraux dans l’eau la plus pure et les libère dans une solution plus concentrée. Mais il faut tout de même 6 kwh de jus par mètre cube produit, et l’eau reste légèrement salée. De tels réacteurs mixtes existent (il produisent de l’eau et aussi un peu d’électricité). Au Kazakhstan, le réacteur d’Aktau fonctionne ainsi depuis une trentaine d’années.
Mais l’eau est sans doute un prétexte, là dessus je suis d’accord avec Sortir du nucléaire (une fois n’est pas coutume): car la chaleur, la Libye en a à revendre: elle tombe du ciel, avec un ensoleillement exceptionnel. Du désert aussi, pour placer les installations gigantesques (mais ça Kadhafi sait faire). Evidemment, la compétition est grande sur la frange côtière puisqu’il faut y loger 60% de la population du pays, et d’immenses exploitations agricoles sorties du désert. Donc la fabrication d’eau douce obligerait à transporter l’eau deux fois: de la mer vers le désert, et retour. Trop compliqué pour un colonel qui a déjà tant fait déplacer de dunes?
Le président français fait une bonne opération: il ne lui reste plus qu’à proposer la même chose aux autres pays du Maghreb, et le sud de la Méditerranée sera arévien. Business is business, dissemination is dissemination…
« Si tu choisis de dîner avec le diable, munis toi d’une grande cuillère »
A bien y regarder, il semblerait que Kadhafi avait une grande cuillère.
Quelle honte pour nous, le pays des droits de l’homme, de recevoir sur notre sol républicain un homme dont le parcours est jonché d’événements tous plus immondes les uns que les autres
http://www.historia-nostra.com/index.php?option=com_content&task=view&id=624&Itemid=60
En parlant de la visite de cinq jours du nouveau grand ami de la France, voici un court extrait d’un article signé Massimo Nava pour le Corriere della Sera :
« Au lendemain de son élection, Nicolas Sarkozy avait promis que la France serait « du côté des opprimés du monde » ; or il a été le premier chef d’Etat à féliciter Vladimir Poutine pour la victoire de Russie unie aux législatives. En visite à Pékin, le président français, faisant allusion à Taïwan et au Tibet, a rappelé qu’ »il n’y a qu’une seule Chine ». Préoccupé, comme on peut le comprendre, par le sort d’Ingrid Betancourt, il a reçu avec les honneurs le président du Venezuela, Hugo Chavez. Reconnaissant pour la libération des infirmières bulgares, il a chaleureusement accueilli le leader lybien Muammar Kadhafi. Aux naïfs et aux idéalistes on répondra que cette logique de politique étrangère incarnée aujourd’hui par Nicolas Sarkozy a pour nom realpolitik. On peut protester haut et fort quant au sort fait à la Tchétchénie, mais c’est de Russie que proviennent gaz et pétrole. On peut être solidaire des moines birmans, mais leur avenir dépend de la Chine et de l’Inde, les nouveaux géants de la planète. C’est ce qu’a si bien compris Nicolas Sarkozy. »
Et en voici un autre, un peu plus long, écrit par Joseph Hanimann pour le Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Kadhafi scelle la fin des intellectuels »
« On savait depuis longtemps que, même en France, les protestations d’intellectuels ont perdu de leur impact. On vient d’en avoir la confirmation. Au beau milieu du tollé suscité par la visite d’Etat de l’autocrate libyen Kadhafi, Bernard Kouchner a eu une phrase lourde de sens. Le temps est venu des négociations politiques, a-t-il déclaré, où les principes moraux n’incarnent qu’une demi-vérité. Realpolitik ? Non : pour le ministre que la politique étrangère sans scrupule de Sarkozy rend de plus en plus nerveux, l’autre demi-vérité est celle des résultats concrets – libération des infirmières bulgares en été, visite d’Etat en automne. Il faut regarder vers l’avant. Donc, oui, realpolitik.
Avec cette visite de Kadhafi, Sarkozy met à rude épreuve la conscience et l’intégrité morale de ses partisans issus des rangs intellectuels. Des personnalités qui n’ont jamais penché en sa faveur et qui, face à ses réussites concrètes de ces dernières semaines, ne pipaient plus mot recommencent soudain à donner de la voix. « Dans le pays des droits de l’homme, il y a là quelque chose qui ne passe pas », déclare Bernard-Henri Lévy : « On n’invite pas en visite d’Etat un grand terroriste ou un preneur d’otages international. »
Ce n’est pas le fait que l’on reçoive un dictateur qui serait scandaleux, mais la manière de le faire, « avec la pompe protocolaire et de surcroît pour la journée internationale des droits de l’homme », s’insurge Pascal Bruckner. On ne trouverait là que peu de traces de la rupture annoncée avec l’ancien cynisme d’Etat. Faut-il donc reprendre les appels à la protestation ? « Plus que jamais », assure Bruckner, « plus on crie fort, plus on a de chance d’être entendu, y compris par Sarkozy. »
La pilule est dure à avaler pour ceux qui avaient soutenu le candidat Sarkozy, tel André Glucksmann. Jamais on ne les a aussi peu entendus. L’empressement du président français à féliciter Vladimir Poutine pour sa victoire aux élections parlementaires russes a déjà été une « déception » pour le philosophe. Aujourd’hui, il juge désastreux que Kadhafi se voie offrir une tribune politique à l’Elysée et à l’Assemblée nationale. Les intellectuels français tels Glucksmann étaient habitués à voir réagir les hommes politiques à leurs protestations. Le mépris et la suffisance de Sarkozy bousculent leurs vieux schémas.
Toutefois, les protestations les plus violentes contre la visite d’Etat du dirigeant libyen ne sont pas venues des cercles d’intellectuels mais du gouvernement lui-même. Le commentaire sans ambiguïté de la secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme, Rama Yade, pour qui la France « n’est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s’essuyer les pieds du sang et de ses forfaits », a largement été repris par les opposants à cette visite. C’est là qu’apparaît la véritable « rupture » du nouveau président. Son gouvernement ne détermine pas seulement la politique du pays, il fournit en prime la critique. La realpolitik à laquelle Sarkozy initie les vieux idéalistes et ses nouveaux alliés ne se déploie pas dans la discrétion feutrée des salons gouvernementaux mais dans les médias, où les intellectuels étaient autrefois chez eux. Le problème est que cette conduite nuit autant à la crédibilité des intellectuels qu’à celle du président. »
Enfin, un petit dernier pour finir, écrit de la plume d’Amine Lotfi, pour le quotidien algérois El-Watan : « Tout près du chéquier libyen »
« En accueillant le chef de l’Etat lybien, la France ne fait que profiter de son retour en grâce diplomatique…et de ses milliards de dollars. Le dirigeant lybien entame, à partir du 10 décembre, une visite officielle de cinq jours en France. Cette visite – dont Paris escompte de substantielles retombées financières – soulève une vague de violentes protestations de la part de l’opposition parlementaire et des organisations des droits de l’homme, qui jugent le colonel Kadhafi indésirable. Les autorités françaises ne semblent nullement embarrassées pour autant par ce vacarme politico-médiatique qui ne devrait pas compromettre la signature de gros contrats avec Tripoli. Le président français, Nicolas Sarkozy, s’est d’ailleurs montré pragmatique en assurant à son invité, lors du tout récent sommet Union européenne-Afrique à Lisbonne, qu’il était le bienvenu. Le colonel Kadhafi se rendra donc à Paris – selon une formule désormais consacrée – « en ami », c’est-à-dire en n’en pensant pas moins, car il est parfaitement informé des tirs croisés dont il fait l’objet.
Pour lui aussi, le ton est au réalisme et à la conclusion de contrats qui amélioreront l’image de la Libye sur la scène internationale. Et, de fait, l’heure n’est plus où le colonel Kadhafi était voué aux gémonies tant par l’Europe que par l’Amérique, prêtes désormais à commercer avec une Libye revenue en grâce depuis qu’elle a affirmé qu’elle renonçait à développer des armes de destruction massive, en 2003, et qu’elle a dédommagé les victimes des attentats au-dessus du Niger, en 1989, et de Lockerbie (Ecosse), en 1998, qui avaient frappé des avions civils. Depuis cette date, le colonel Kadhafi a reçu la quasi-onction du président Bush lui-même et il est redevenu parfaitement fréquentable pour l’ensemble des capitales, dans un contexte où le réalisme économique prime sur bien d’autres considérations.
Le président français avait d’ailleurs souligné, à Lisbonne, qu’il encouragerait « le retour à la respaectabilité internationale » du colonel Kadhafi. Le rapprochement entre Paris et Tripoli avait connu un temps fort, cet été, lors de l’épisode de la libération des infirmières bulgares détenues en Libye. En contrepartie du geste du colonel Kadhafi, Paris aurait pris un certain nombre d’engagements, en particulier dans le domaine du nucléaire civil. La France est désireuse d’exporter sa nouvelle génération de réacteurs et de vendre dans le monde ses nouvelles technologies. Mais l’un des objectifs de la visite du dirigeant libyen en France concernerait des contrats d’armement et plus particulièrement d’avions de chasse Rafale, que l’industrie aéronautique française peine à placer. La Libye serait l’un des rares pays, pour ne pas dire le seul, à acquérir ce matériel de combat, qui fera son apparition dans une région qui a bien d’autres priorités. A cet égard, la visite du colonel Kadhafi est déjà tout bénéfice pour la France et son industrie militaire. Même s’il est peu probable que le dirigeant libyen ait droit, en retour, à des bains de foule sur les Champs-Elysées. »