Climat-info service vous répond (questions 1 à 4)

© Denis Delbecq
© Denis Delbecq

Question 1, posée par Enisor: Sait-on si les modèles du type GCM (circulation globale) présentent des état stationnaires (du point de vue dynamique) lorsque les paramètres sont maintenus constants?

Les modèles utilisés par le GIEC ont permis de faire ce genre de simulations. Vous pouvez en voir les résultats dans le Résumé pour décideurs, voir la courbe SPM.5.

Giec 2007
© Giec 2007

La courbe en orange est calculée pour une teneur en gaz à effet de serre stable, équivalente à ce qu’on observait en 2000 (ce qui correspondrait en gros à un arrêt total des rejets de GES). La température continue de grimper très lentement en raison des processus à long terme, comme la réponse thermique des océans, ainsi qu’en raison d’une variabilité interannuelle.

David Stevenson, spécialiste de modélisation atmosphérique,
Université d’Edimburg (Grande-Bretagne).

Question n°2, posée par Oglala: Les modèles utilisés dans le dernier rapport du GIEC n’intégraient qu’une partie des rétroactions positives: l’augmentation de la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère, et la diminution de l’albedo terrestre. Est-ce bien le cas? Y-a-il eu des tentatives récentes d’intégrer d’autres rétroactions dans les modèles pour tenter d’en évaluer l’impact sur le climat?

Plusieurs autres effets de feedback sont intégrés dans les modèles climatiques actuels (et même dans d’autres, plus anciens, utilisés pour le dernier rapport du Giec). Aujourd’hui, la manière dont la couverture nuageuse réagit au changement climatique est prise en compte. Dans certains modèles, qui utilisent un couplage avec les cycles du carbone, les concentrations en gaz carbonique interagissent avec le changement climatique. Par exemple, la quantité de CO2 piégée dans les océans, quand leur température s’élève (voir le chapitre 7 du rapport du Giec AR4-WGI). Le carbone terrestre (sols et végétation) pourrait aussi réagir: les modèles prédisent que ces puits devraient décroitre. Ces résultats suggèrent que une large fraction du CO2 rejeté par les activités humaines restera dans l’atmosphère: c’est donc un mécanisme de rétroaction positive, d’amplification du réchauffement. Mais il reste encore de grandes incertitudes sur l’ampleur de ces feedbacks.

NB: plus de détails sur les cycles de rétroaction du carbone sont donnés dans le rapport du Giec, au chapitre 7 (voir notamment la section 7.3.5.4, page 537).

David Stevenson, spécialiste de modélisation atmosphérique,
Université d’Edimburg (Grande-Bretagne).

Question n°3, posée par Oglala. Pour expliquer les variations naturelles de courte périodicité de la température globale, les climatologues évoquent l’influence des cycles de l’intensité du rayonnement solaire, les éruptions volcaniques et les oscillations océaniques du type NAO/ENSO. Comment agissent ces mécanismes sur la température globale?

L’oscillation sud El Niño (ENSO) se réfère à un changement périodique de la température de surface de l’océan, dans le centre et l’Est du Pacifique. Bien que les causes exactes de ce cycle naturel restent encore à déterminer, ses effets sont bien caractérisés. Pendant un épisode El Niño, l’eau de surface se réchauffe d’au moins un demi degré celsius au dessus de la moyenne, modifie la pression atmosphérique et modifie donc les phénomènes météorologiques.

Pour comprendre comment fonctionne l’ENSO, il faut bien comprendre comment les courants océaniques se forment. Pendant des conditions normales, le Pacifique héberge deux importants courants, de part et d’autre de l’Equateur. Regardons le courant qui circule au sud. Alors qu’il remonte vers le nord, le long de la côte Pacifique de l’Amérique du Sud, la force de Coriolis éloigne les eaux réchauffées du continent. Quand cela se produit, les eaux froides venues du fond de l’océan remontent et prennent la place des eaux chaudes suivant le mécanisme baptisé upwelling par les scientifiques. Pendant un épisode El Niño, l’eau chaude s’accumule le long de la côte Pacifique de l’Amérique du sud, et empêche les eaux froides de remonter. L’océan reste chaud.

Cette surface chaude provoque tout un ensemble de modifications locales du climat, et c’est pour cette raison que les chercheurs évoquent l’ENSO pour décrire des variations de fréquence moyenne de la température terrestre. Par exemple, de basses pressions tendent à se former au dessus des eaux chaudes, qui provoquent un réchauffement des températures en Amérique du sud. De même, les précipitations tendent à se décaler vers l’Est du Pacifique, vers l’Amérique latine, à l’opposé de ce qui se produit en dehors d’une ENSO. En Amérique du nord, l’oscillation provoque une hausse des températures au milieu et dans le nord-est des Etats-Unis et du Canada, tandis qu’elle entraîne une augmentation des précipitations dans le sud-ouest de Etats-Unis et le Nord-Ouest du Mexique. El Niño provoque aussi un rafraichissement des températures dans le Golfe du Mexique.

L’oscillation nord-Atlantique (NAO) diffère de l’ENSO: c’est avant tout un phénomène atmosphérique et non pas océanique. La différence de température au dessus de l’Atlantique détermine la force des vents d’Ouest qui apportent de l’humidité en Europe. Quand l’indice NAO est élevé, les vents d’ouest se renforcent et l’Europe subit généralement des étés plus frais, et des hivers doux et humides. A l’inverse, quand l’indice est faible, l’Europe connait des étés plus chauds (et parfois des vagues de chaleur) et des hivers plus frais et plus secs. C’est pour cela que les chercheurs évoquent l’oscillation nord-Atlantique pour décrire des variations à moyenne fréquence de la température terrestre.

Katherine R.M. Mackey
Stanford University

Question n°4, posée par GML. Pourquoi attribuer des variations climatiques à l’activité humaine alors qu’il semble bien que l’augmentation du CO2 suivrait de quelques années le réchauffement des océans (qui dégagerait plus de CO2) et qui serait dû principalement à l’activité solaire?

C’est un cas typique du problème de l’œuf et de la poule: la température et la concentration atmosphérique peuvent s’influencer l’une-l’autre, dans les deux sens.

A la fin des périodes glaciaires, la température a d’abord grimpé, suivie par la concentration atmosphérique en gaz carbonique, environ 800 ans plus tard. Ensuite, température et gaz carbonique ont continué à grimper pendant environ 4000 ans. L’augmentation de température initiale n’était pas le fait des gaz à effet de serre, mais le gaz carbonique a ensuite contribué de manière importante à la poursuite de la hausse des températures. Le CO2 agissait comme un feedback positif, renforçant le réchauffement initial. Sans la prise en compte de cet effet, il est extrêmement difficile d’expliquer l’ampleur final de la hausse des températures à la fin des époques glaciaires.

Mais la situation présente est clairement différente de ce qui se passait à la fin des âges glaciaires, car nous savons de manière certaine que le gaz carbonique supplémentaire est apporté par les activités humaines (il y a assez peu de doute, notamment quand on observe la signature isotopique de ce carbone qui correspond à celle du carbone des combustibles fossiles). Le surplus de CO2 dans l’atmosphère ne vient pas des océans. Au contraire, les océans ont pu capter une part non négligeable du gaz carbonique rejeté par les activités humaines. Aujourd’hui, l’augmentation du gaz carbonique atmosphérique n’est pas une conséquence d’un réchauffement climatique. Elle provient des émissions d’origine humaine, et elle est donc l’une des forces qui gouvernent le réchauffement climatique.

Voir par exemple: http://www.realclimate.org/index.php/archives/2004/12/co2-in-ice-cores/ et http://www.skepticalscience.com/co2-lags-temperature.htm

Bart Verheggen
Energy research Centre of the Netherlands

Retrouvez aussi les réponses aux quatre questions suivantes, à propos des aérosols asiatiques, de la transformation de l’atmosphère terrestre en celle, irrespirable de Venus, de l’augmentation de la vapeur d’eau, et du poids des conséquences positives et négatives du réchauffement. Ainsi qu’aux questions 9 à 12, qui portent sur l’équilibre radiatif de la Terre, l’analyse des glaces polaires et la limitation à 2 degrés du réchauffement.

10 commentaires

  1. Je ne maîtrise pas tous les détails, mais les modèles commencent aussi à prendre en compte la « chimie » de l’atmosphère – et cela tend encore une fois à aggraver la situation.

    1. Oui merci c’est vraiment une bonne initiative.

  2. Ils sont forts ces climatologistes, plus rapides que la Redoute. Et mes deux questions traitées lors de la première livraison de Climat Info-Service, c’est trop d’honneur. Le constat après analyse des réponses est cependant moins glorieux pour moi.
    1) Je m’aperçois que j’ai un bon wagon de retard sur le niveau de développement des modèles
    2) Nombre de questions que je me posais avaient sans doute déjà une réponse dans le rapport complet (pas le résumé) que j’avoue, à ma grande honte, n’avoir jamais eu le courage de lire dans le détail. Je sais ce qui me reste à faire en guise de sanction… (heureusement, je suis meilleur en version qu’en thème)

    Veuillez transmettre mes remerciements à Katherine et David

  3. Je vais profiter lâchement de cette opportunité pour m’instruire. Voici une liste de questions:
    1- la température que l’on déduit de l’examen des carottes de glace, c’est la température de quoi exactement? De l’air au dessus de l’Antarctique, de l’eau de l’océan…?
    2- les températures ainsi mesurées sont -elles comparables, pour la période récente (disons les 2 ou 3 derniers milliers d’années, et en particulier de 1860 à nos jours) entre les carottes de glace prélevées au pôle Sud et au Groënland, et où trouve-t-on les graphiques correspondants. Et quel est le pas de temps entre les mesures?
    3- l’augmentation de la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère a été constatée dit-on. Quelle est son ordre de grandeur?
    4-la rétention de chaleur dans l’atmosphère devrait se traduire par une diminution des émissions infrarouge vers l’espace. L’a-t-on mesurée? Si oui, de combien est-elle?
    5 -Quelle est l’interprétation retenue pour la  » pause » de l’augmentation des températures observée entre 1940 et 1970?

  4. Cher BMD,

    Ce genre de questions devient compliqué, et il faut appeler à l’aide. Cette aide existe, et s’appelle Google Scholar. Il suffit de taper « temperature carotte glace »
    scholar.google.fr/scholar?q=temperatures+carotte+glace&hl=fr&btnG=Rechercher&lr=

    et il y a toute une liste de réponses, dont celle-ci semble répondre à ta Q1, et peut être Q2
    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/quate_1142-2904_2001_num_12_4_1693

    De toute façon, il y a toute une liste de citations pour aller éplucher la littérature primaire.

    Pour Q3, de mémoire, l’humidité relative reste constante, donc une hausse des T° entraîne une hausse de l’humidité absolue pour la même valeur relative
    (voir aussi fr.wikipedia.org/wiki/Pression_de_vapeur_saturante)

    Q4 est difficile. La NASA a fabriqué un engin rien que pour cela, mais le gouvenement (Bush) a toujours refusé de le lancer (une mission à 100 million de dollars qui attend depuis bientôt 10 ans). Donc il y a des mesures indirectes ou incomplètes, donc les marges d’erreur sont relativement importantes. A ma connaissance, l’état de l’art est décrit dans Kiehl & Trenberth 2009
    (draft: http://www.cgd.ucar.edu/cas/Trenberth/trenberth.papers/10.1175_2008BAMS2634.1.pdf)
    A noter que cette diminution entraîne aussi une baisse de la température stratosphérique, mesurée elle aussi, et quasiment la meilleure « preuve » du RCA.

    Q5 Ce serait dû aux aérosols, mais la plage ne correspond pas vraiment. A noter aussi qu’on a découvert une énorme anomalie dans le changement de technique de mesure des températures océaniques ce qui induit aussi une « fausse » baisse à la sortie de la guerre, mais je ne sais pas si un ensemble corrigé a déjà été publié.

    PS j’ai omis http:// dans tous les liens

  5. Merci à Bart Verheggen pour la réponse n°4. Elle est précise et claire. Cependant, elle contredit d’autres affirmations… mais vraiment qui croire et à qui se fier quand on est béotien en la matière ?

    D’ailleurs, au passage, un des dangers de toute cette agitation « scientifique » autour du RCA est de décrédibiliser la science avec toutes ces affirmations péremptoires et opposées de scientifiques (?) au demeurant certainement trés honorables à titre personnel.
    Il faudra bien un jour tirer toute ces histoires au clair et faire la part de la vérité et la part du militantisme politique (commercial ?) qui brouille les idées.


  6. C’est vraiment une bonne idée ces questions/réponses avec des spécialistes, ça change de la visite chez Mme Bertrand qui possède une moitié de panneau solaire et qui le montre à la T.V. ; les médias traditionnels et grands publics devraient en prendre de la graine.

    (par contre j’ai remarqué une petite coquille, sur la dernière question : « l’ampleur final » => « l’ampleur finale »).


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