Le lac Titicaca en eaux troubles

 

Copacabana, située sur les rives du lac Titicaca, n'a toujours pas de système d'égouts. Les eaux usées sont rejetées directement dans le lac © Incahuella
Copacabana, située sur les rives du lac Titicaca, n'a toujours pas de système d'égouts. Les eaux usées sont rejetées directement dans le lac © Incahuella

Déjà onze mois que nous arpentons les sentiers des Andes, et nous voilà enfin arrivées sur les rives du fameux lac Titicaca. Sa réputation est grande, principalement pour sa situation géographique assez exceptionnelle: perché à en moyenne 3812m d’altitude, c’est le plus haut lac navigable au monde ! Selon la légende, il serait le berceau de la civilisation Inca, puisqu’il aurait vu la naissance du premier Inca, le «fils du soleil», qui aurait surgit de ses eaux.

Cette immense réserve d’eau douce s’étend sur environ 8562 kilomètres-carrés, à cheval entre le Pérou et la Bolivie. Abritant quarante-et-une îles (dont une grande partie est habitée de façon permanente), le lac Titicaca est alimenté par vingt-cinq rivières. Malheureusement, il est aujourd’hui devenu un gigantesque bassin d’eau polluée, au point que le Programme des Nations Unies pour l’Environnement demande expressément aux gouvernements bolivien et péruvien d’agir pour freiner la dégradation de cet écosystème fragile.

La composition des déchets retrouvés dans la baie de Puno en 2003. Selon un article de Valderrama Pomé, Aldo Alim et Cordova Arce, Daniel Porfirio.
La composition des déchets retrouvés dans la baie de Puno en 2003. Selon un article de Valderrama Pomé, Aldo Alim et Cordova Arce, Daniel Porfirio.

En effet, sa surface est petit à petit recouverte par des colonies toujours plus grandes de lentilles d’eau, plantes bien connues comme bio-indicatrices d’une forte pollution aux phosphates et aux nitrates. Cette contamination est due à toutes les eaux usées domestiques et agricoles rejetées sans traitement préalable dans le lac. On estime qu’annuellement, il reçoit plus de cent mille tonnes de déchets issues des presque trois millions d’habitants du bassin versant du lac Titicaca. Par exemple, seuls 45% des eaux usées d’El Alto (troisième plus grande ville de Bolivie avec plus d’un million d’habitants) sont traitées avant d’être rejetées dans la rivière Seco, un affluent de la rivière Katari qui se déverse dans le lac. Les baies de Puno (Pérou) et de Cohana (Bolivie) sont les plus gravement touchées.

Or, bien qu’utiles comme fertilisant pour les terres avoisinantes, les lentilles d’eau représentent un problème écologique majeur. Les amas denses qui se forment à la surface empêchent la pénétration de la lumière dans l’eau, ce qui freine la photosynthèse et les échanges d’oxygène avec l’atmosphère. La concentration d’oxygène dans l’eau va donc diminuant, ce qui accélère le phénomène d’eutrophisation du lac. (Voir la définition du terme d’eutrophisation donnée par le CNRS). A plus ou moins court terme (on parle en dizaines d’années), cela pourrait entrainer la mort biologique du lac Titicaca.

Pour freiner cette dégradation écologique, le Pérou et la Bolivie ont communément lancé un plan de ramassage des lentilles d’eau, qui sont ensuite utilisées pour des projets de fertilisations des terres avoisinantes afin de développer l’agriculture. C’est ainsi l’équivalent de quatre grosses bennes à ordures de lentilles d’eau qui est retiré chaque jour, pour un total d’environ 800.000 tonnes par an !

© Incahuella
© Incahuella

En réponse au problème du rejet des eaux usées, la Bolivie a en 2010 décidé de doter d’ici 2014 les villes de Copacabana, Achacachi, Viacha, Tihuanaku et Tiquina de stations d’épuration, de systèmes d’égouts, et de décharges municipales. Un premier pas vers l’amélioration d’une situation déjà critique. Malheureusement aucun de ses projets n’a pour l’instant commencé à se concrétiser…

En plus de nuire à la biodiversité, la contamination des eaux pose aussi plusieurs problèmes sanitaires, aussi bien pour le bétail que pour les hommes. Une étude péruvienne aurait montré que sept enfants sur dix examinés dans les écoles situées autour du lac sont parasités par la grande douve du foie (Fasciola hepatica), qui a des conséquences assez importantes sur la santé (fièvre, douleurs abdominales, coliques hépatiques, intolérance alimentaire). Le bétail est lui aussi infesté par ce ver plat parasite, qui n’est pas létal mais qui induit un amaigrissement important, surtout chez les vaches laitières. Ces dernières produisent donc moins de lait, qui transformé en fromage représente pourtant un apport économique important pour les habitants de la région.

Heureusement, les populations rurales se rendent peu à peu compte de la gravité de la situation et commencent à mettre en place diverses stratégies pour tenter d’endiguer le phénomène. Sur l’île du Soleil (Bolivie), les communautés Aymaras pensent en ce moment même à établir une charte environnementale obligeant entre autre les touristes à repartir de l’île avec leurs déchets. Une idée intéressante, à condition que la ville de Copacabana (point de départ pour l’île du soleil) se dote enfin d’un système de gestion des ordures et des eaux usées !

12 commentaires

  1. Encore un exemple de l’effet destructeur de l’homme sur son environnement.
    Derrière la possible catastrophe écologique il y a l’éternel problème économique de qui doit payer pour sauver cette merveille de la nature?
    Les paysans Péruviens et Boliviens ne peuvent surement pas faire face seuls aux exigences écologiques de conservation du lac.

  2. Je remercie chaleureusement les auteurs de cet article. Malheureusement ce qui y est décrit n’a rien d’exceptionnel. Il me vient en tête plusieurs exemples:

    -Au Guatemala, El Lago Amatitlan est tellement eutrophe que l’autorité chargé de l’exploitation durable du lac, AMSA, y a placé des oxygénateurs fonctionnant sur le même principe qu’un bulleur pour aquarium.

    -En 2010, El Salvador a décidé d’inscrire Eichornia crassipes sur la liste des espèces invasives en particulier pour leur forte progression constatée sur la Laguna de Olomega, le quatrième site Ramsar du pays, progression symptômatique de l’eutrophisation des eaux.

    -En Argentine, sur el Lago Nahuel Huapi l’eutrophisation progresse à un rythme modéré en partie attribuable à sa morphométrie. Cependant le problème reste de taille dans cette zone qui connait un fort développement touristique dans un contexte de morosité économique qui ne favorise pas les investissements en faveur de l’environnement.

    Je pourrais continuer à citer bien d’autres exemples rien qu’en Amérique Latine.

    L’Argentine a une faible densité de population. Si ce pays présente bien des inégalités il connait un niveau de vie se rapprochant plus des standards européens que les deux autres précédemment cités. Ces derniers ont de plus une densité de population comparable à celle de l’Inde pour El Salvador et un peu plus élevée que celle de la France pour le Guatemala. Que l’Argentine ne parvienne dans de telles conditions à faire face à ces phénomènes d’eutrophisation est donc particulièrement préoccupant: Comment imaginer alors que des pays moins aisés solutionnent ce grave problème?

    L’eutrophisation favorise le développement de parasites ce qui en fait un grave problème de santé publique. Les dommages ne s’arrêtent pas là, tourisme et activité de subsistance comme la pêche peuvent tout simplement être réduits à néant. C’est le cas sur la Lago Amatitlan et je crains que la Laguna de Olmega connaisse sous peu le même sort.

    Les modifications des conditions physico-chmiques des eaux continentales comme l’eutrophisation sont attribuables à l’absence ou à un manque de traitement des eaux usés qui accompagne déplacement de population et développement économique. La transformation des bassins versants par l’agriculture et l’exploitation minière est aussi souvent lourde de conséquences. Ces eaux contiennent le plus souvent une forte charge qui modifie la morphométrie des bassins d’eau continentale en sédimentant. Conséquemment, les zones d’eaux peu profondes s’étendent. Les eaux se réchauffent et des plantes comme Pistia stratiotes se développent: il s’en suit un assèchement par évaporation et évapotranspiration.

    J’espère n’avoir pas été trop ennuyant. Mon but était simplement d’expliquer quelques mécanismes qui permettent de saisir les conséquences de ce type de pollution et rappeler qu’elles sont légion. La thèse que je cherche à développer depuis maintenant bien longtemps est que le déréglement des écosystèmes est surtout la conséquence du mal-développement et que les premières victimes à considérer sont humaines. C’est pour cela que je pense qu’il n’existe d’environnementaliste conséquent qui ne place l’humain au ceur de ses préoccupations.

    Je me demande quelle saloperie va encore me balancer Minitax en lisant ce commentaire.

    1. Pas de souci: on met MiniTax minable sur le blog d’Oil Man.

      C’est un commentaire assez inquiétant, mais après tout, combien de temps avons-nous mis dans nos pays à moins polluer nos lacs et rivières et quel chemin nous reste-t-il à parcourir encore ? Faut-il s’étonner que d’autres pays mettent du temps à résoudre les problèmes et pouvons-nous donner des leçons ?

      Bien d’accord avec l’avant dernière phrase: « il n’existe d’environnementaliste conséquent qui ne place l’humain au ceur de ses préoccupations ».

      1. Je suis souvent sceptique quant à l’approche des problèmes environnementaux. Une part de mon sceptissisme tient au causes. Une autre, aux conséquences avancées.

        Dans un précédent post je réagissais à ce qui m’a semblé être une rengaine sans arrêt répétée qui voudrait que les atteintes à la biosphère dans les PVD ne soient que le fait de vilaines compagnies étrangères. C’est ignorer l’absence de gestion des ressources que j’ai pu constater par mes yeux maintes fois dans plusieurs de ces pays. Mon frère, ingénieur agronome de formation et éleveur expérimenté qui vit en Inde ne tient pas un autre discours.

        Si mon expérience se limite essentiellement à l’Amérique Latine, j’ai par ailleurs approfondi le sujet en lisant de nombreux rapports et études dans le cadre profesionnel et pour mon propre compte. Rien d’exceptionnel, mais ça m’a permis de me forger une opinion recoupée par un bon bagage scientifique acquis au cours de mes études. Je pense pouvoir dire sans grande prétention avoir acquis une expérience et un niveau d’expertise qui ne manque pas d’intérêt et surtout qui change un peu de ce qu’on a l’habitude de lire en commentaire au bas des articles, commentaires qui s’ils sont souvent informatifs et l’occasion de voir s’exprimer une diversité d’opinion sont trop souvent joutes verbales et calomnies. Et là ça pue! D’ailleurs, puisque nous parlions de Minitax, il est frappant de voir que ce bonhomme ne semble avoir d’autres activités que de se répandre de cette façon avec haine et agressivité sur le net. Ici il niera tout impact négatif des activités humaines tant sur les écosystèmes que les êtres humains. Vous jugerez par vous même du caractére des opinions qu’il exprime à d’autres endroits, cela va de soi bien sûr, dans le même langage ordurier http://archives.forum-politique.org/www.forum-politique.org/sciences-ecologie/topic73555-680.html

        La trame de fond de mon analyse est d’ordre historique et géopolitique: absence de gestion et soumission au marché roi sont conséquence d’un manque de développement humain lui même héritage de l’histoire d’un monde où conquête et pillage a détruit les structures sociales de sociétés qui ne doivent pas être pour autant idéalisées. Elles avaient leurs défauts et leurs qualités au même titre que celles créées dans leur sillage présentent de nombreux atouts mais aussi ont de nombreux défis à relever. C’est à ce stade que bien souvent je me sens largué par le discours écologiste. Par réflex sans-doute héritage de ses origines contestataires il rejette souvent toutes idées de développement économique et refuse d’obliger tout un chacun à prendre ses responsabilités en matière de préservation de la biosphère en se focalisant sur les seuls pays à IDH élevé. Grave erreur! En cela il fait miroir au discours libéral qui ne jure que par une seule forme possible d’évolution faite de consommation et d’industrie lourde. Cette écologie là ne voit pas le changement positif traduit par une amélioration des conditions de vie grâce au développement d’infrastructures. Elle ne voit pas que c’est son manque comme son excés qui est à combattre. Cette écologie là se précipite sur des mécanismes complexes comme le climat que les activités humaines dérégleraient et fait peu de cas d’autres conséquences « moins sexy » à débattre pourtant documentées avec recul et précisions. Et là oui je suis largué et bien plus que ce qu’on pourrait être tenté de croire à la vue d’autant de commentaires traduisant des positions tranchées sur un sujet d’une telle complexité. Formé à la biologie, à la géographie et à l’économie j’avoue rencontrer très vite mes limites quand s’aborde ce type de sujet là où tous s’invectivent devant la bêtise de celui qui ne verrait pas ces évicences… Idiot que je suis je préfére ne pas oublier cette phrase que me répétait un ami docteur en calcul informatique spécialiste de la mécanique des fluides bien classé au publimètre: « La science c’est l’école de l’humilité ». A méditer sans-doute.

        Pour en revenir au coeur du sujet, la pollution des eaux continentales, il existe des solutions pour déseutrophiser les eaux comme la culture de jacinthe d’eaux. C’est ce que tente de faire un hollandais sur le lac Amatitlan au Guatemala. Il a développé une approche des plus intéressantes. Il considére qu’au lieu d’engager de grand frais pour éradiquer cette invasives il faut prendre le problème dans l’autre sens en considérant son expansion comme un bioindicateur. Au contraire en favorisant son développement dans des bassins annexes au lac on permet de filtrer son eau. La matière organique produite, elle est considérable, est ensuite transformée en biogaz. Le digestat sert d’engrais. Son projet fut présenté devant un congrés de l’Alianza Energetica y Ambiente con Centroamerica le 30/03/2011 afin de solliciter des fonds. La réussite d’un tel projet pourrait faire figure d’exemple dans la région et pourrait permettre aux gestionnaires de zones humides de toute la région centromaéricaine d’user d’une stratégie plus viable que l’arrachage manuel et mécanique des plantes aquatiques bioindicatrices de l’eutrophisation des eaux. Si ce projet réussit il pourrait être intégré aux manuel de bonnes pratiques de gestion de la convention de Ramsar.

        Mon approche se veut terre à terre parce-que c’est ce qui fonctionne. Pour qui n’y a pas été confronté, il est surprenant de voir le nombre d’organisations citoyennes que comptent l’Amérique latine prête à répéter ce genre d’expérience.

        Je pense aux jeunes Aj Tzuk qui ont lancé la campagne de reforestation « Reforestando Centroamerica »
        http://es-es.facebook.com/reforestandocentroamerica
        http://ajtzuk.org/

        Je pense à tous ces jeunes partout dans le monde dont le niveau de conscience citoyen a atteint des sommets.

        Je pense à la ville martyr de Suchitoto en El Salvador. Cette municipalité qui a connu tant de souffrances montre le chemin: tri des déchets intégral (organique, verre, plastique et papier) qui permet de produire une quantité importante de compost, ouverture récente d’une station d’épuration, marché solidaire, respect des femmes… C’est grace à une forte volonté politique et une bonne gestion que ce fut rendu possible car croyez-moi rien n’était gagné. A Suchitoto on peut sortir se promener à pied même la nuit! Tout simplement exceptionnel pour El Salvador…

        Je pense à tant d’autres et d’autres pensent à bien d’autres encore que je ne connaitrais jamais. Gardons espoir.

      2. @ Blase: tout n’est pas foutu et il faut garder espoir.

        La difficulté est de faire prendre conscience de la nécessité de changer de modèle.
        Les bienfaits de la colonisation par des civilisations supérieures ? Oui, le plastique et nombre de déchets, l’absence de respect pour l’environnement, le pillage systématique des ressources…

        Alors, après, c’est facile de les regarder d’un air supérieur et de dire qu’on est là pour leur donner des leçons.

        Vous nous dîtes qu’il y a beaucoup de jeunes là-bas qui ont pris conscience des problèmes (bien mieux que chez nous donc ?): c’est peut-être que les gens là-bas veulent prendre leur futur en main et plus laisser tout se dégrader autour d’eux.

        Mais alors, quel immense manque de respect de la part de notre sinistre de l’Intérieur qui se croit d’une race supérieure !

  3. Le Science & Vie devient Piquiste en ce mois de mai 2012, et franchement c’est pas trop tot.

    Je dis cela bien que dans les années 80 j’étais le premier a m’émerveiller devant les projets fous que nous promettait l’avenir et qui étaient relayés allègrement par le magazine, projets tellement démesurés que c’est à se demander si l’homme n’a pas replongé au cours de son histoire récente dans l’illusion d’etre encore et toujours au centre de l’univers.

    Je ne connaitrai donc jamais de villes dôme extraterrestres ou de méga stations orbitales mais c’est bien le dernier de mes soucis. Seule le prise de conscience collective des limites et l’acceptation collective des limites est à meme de me donner quelque espoir en l’avenir, l’espoir de voir l’Homme faire corps pour relever des défis qui du haut de notre abondance peuvent nous sembler insurmontables.

  4. Au fait, il y a-t-il d’autres articles en vue? La série Incahuella est vraiment intéressante.

    1. Merci Blase de ton intérêt, nous venons de soumettre un autre article qui ne devrait plus tarder à être publié.
      A bientôt

      1. Au plaisir de le lire alors.

        Y que le vaya bien 🙂

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