L’invraisemblable histoire du Parc National de Patagonie

Le guanaco, espèce emblématique de Patagonie © Incahuella
Le guanaco, espèce emblématique de Patagonie © Incahuella

Fin mars, nous nous rendions en direction de la Vallée Chacabuco, au cœur du futur Parc National de Patagonie, au Chili. Ce projet de création d’un nouveau parc est en plein dans la polémique car son histoire est compliquée…

Il était une fois une estancia (grande propriété agricole) plus trop rentable qui cherchait preneur. A 1000 lieux de là, un preux couple de milliardaires américains se vit confier par la divine nature la mission suivante : «Valeureux chevaliers des temps modernes, par tous les moyens financiers et politiques dont vous disposez, vous devez m’aider à protéger les merveilleux paysages de la Patagonie.» Ainsi, Douglas et Kristin Tompkins (anciens fondateur des marques North Face et Patagonia) se lancèrent dans cette quête éperdue et rachetèrent l’estancia dans l’espoir de la transformer en parc naturel, à jamais protégé.

Cela fait maintenant sept ans que l’estancia est devenue propriété de Kristin Tompkins, et que les moutons et les vaches qui l’occupaient ont mis la clef sous la grange. Certains locaux regrettent cependant que l’estancia ait perdu son activité traditionnelle d’élevage. Ils craignent que peu à peu, leur culture et leurs coutumes disparaissent au profit de la mondialisation.

Un «lodge» luxueux, en pierres de la région, dans la vallée Chacabuco © Incahuella
Un «lodge» luxueux, en pierres de la région, dans la vallée Chacabuco © www.conservacionpatagonica.org

D’autres ont su tirer leur épingle du jeu et travaillent avec enthousiasme à la réalisation de ce projet. Entre la création des sentiers pédestres, la construction des différentes bâtisses et la restauration des milieux dégradés, les gardes du futur parc (anciens bergers de l’estancia, reconvertis et formés à ce métier) ne chôment pas et connaissent sur le bout des doigts les secrets de ce territoire. La soixantaine d’employés de Chacabuco profite en plus d’un logement sur place et d’une école pour leurs enfants (Cochrane est à 30km de là). En plus de créer des emplois, les retombées indirectes du futur Parc National de Patagonie seront nombreuses (impôts locaux, nouvelles infrastructures, amélioration des routes et développement de l’activité touristique), et propulsera Cochrane et sa région parmi les plus grandes destinations touristiques du Chili.

Le «Parque Nacional Patagonia»

la carte du projet de Parc national de Patagonie © DR
la carte du projet de Parc national de Patagonie © DR

Le Parc National de Patagonie sera en fait le regroupement de trois réserves naturelles : Les Réserves Nationales Jeinimeni (160 000ha) et Tamango (6 943ha) et la Vallée Chacabuco (69 000ha). A ces parcs s’ajouteront d’autres terres appartenant déjà au Chili.

Actuellement, Jeinimeni et Tamango sont gérées par la CONAF tandis que la Vallée Chacabuco est gérée par la fondation de Kristin Tompkins, Conservacion Patagonica. Une fois le parc légué au Chili, la CONAF sera seule responsable de cette aire protégée.

La finalité de ce projet est la création d’un Parc National qui sera légué à l’Etat une fois terminé et rentable. Pourquoi un Parc National? Puisque c’est aujourd’hui le statut qui assure la meilleure protection du territoire contre toute forme d’extraction de ses ressources naturelles ; Il est aussi presque impossible pour un gouvernement de revenir sur ce niveau de protection. La démarche peut sembler étonnante, mais n’en est pas moins efficace. Les Tompkins n’en sont d’ailleurs pas à leur premier essai, le parc Monte Leon en Argentine en témoigne.

On peut regretter les immenses lodges ou la pelouse verdoyante en pleine pampa, le futur Parc est plutôt luxueux et peut sembler surfait. Mais peut-être est-ce le bon compromis pour attirer les touristes qui payeront à l’avenir une coquette somme pour découvrir le patrimoine naturel de la Vallée Chacabuco.

Et l’écologie dans tout ça? Le grand axe de leurs actions est la protection de la faune, et la restauration du paysage. Les sujets les plus charismatiques font l’objet de toutes les attentions, parmi ceux-ci la protection des huemules (cervidés en voie d’extinction) ou bien encore des guanacos. Ils sont aussi aux petits soins avec les paysages, points forts des Parcs Nationaux. Par exemple un des programmes de volontariat consiste à démanteler les barbelés de l’ancienne estancia, pour rendre son intégrité visuelle à la vallée et réduire la fragmentation des milieux.

La flore quant à elle, est un peu laissée pour compte pour le moment, sa situation étant moins alarmante. Pas d’inventaire exact, ni de plan d’action vraiment défini ; les botanistes en herbe que nous sommes restent sur leur faim.

Mais ce qui nous a le plus contrarié est le choix affiché des Tompkins de ne pas travailler avec des chercheurs et des universités, mais uniquement avec des professionnels chiliens qu’ils ont eux-mêmes trié sur le volet. L’équipe travaille donc très rarement en collaboration avec des scientifiques. Dommage car l’échange de connaissances sur des espèces aussi emblématiques que le puma et le huemul aurait sans aucun doute été très enrichissant. En ne diffusant pas leurs résultats et leurs connaissances, et en limitant les échanges d’informations avec le monde extérieur, l’équipe du parc manque plutôt de recul sur son travail.

Finalement, la vallée Chacabuco sera-t-elle un exemple à suivre quant à la conservation de la biodiversité ou sera-t-elle une belle occasion manquée pour l’écologie scientifique et voire même pour la protection de l’environnement ?

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