Patagonia Sin Represas!

Manifestation contre un projet de barrages en Patagonie © Incahuella
Manifestation contre un projet de barrages en Patagonie © Incahuella

Pendant que le nucléaire est certainement (on l’espère) remis en question dans la tête de beaucoup de gens, le Chili aspire à développer l’énergie hydroélectrique pour assurer lui-même ses besoins en électricité. Besoins évidemment grandissants car la population augmente, le pays se modernise et surtout puisque de grands projets miniers sont envisagés dans le nord du Chili. Pour remplacer ses anciennes centrales à charbon, il fallait donc trouver une énergie plus durable. Sachant que la Patagonie regorge d’eau, il coulait de source d’en profiter. C’est ainsi que le gouvernement devra se prononcer en Avril prochain sur la réalisation d’un immense projet hydroélectrique dans la région d’Aysén, au grand dam de la population locale.

Cela fait bientôt 5 ans que la compagnie espagnole Endesa s’est lancée dans un projet de construction de cinq barrages sur les rivières Rio Baker et Rio Pascua (XI région Aysén). Endesa s’est associé avec Colbúl (une compagnie chilienne) pour créer une filiale commune, HydroAysén, qui s’occupe de la gestion du projet. Endesa contrôle cette firme puisqu’elle possède 51% d’HydroAysén Pour compliquer le tout, Endesa a depuis été racheté par la compagnie italienne Enel. Mais cerise sur le gâteau, c’est l’Espagne et non le Chili qui possède les droits d’eau sur les rivières Baker et Pascua.

De l’électricité pour les mines

Maria Josefina Ruiz Catalán, de Patagonia sin Represas
Maria Josefina Ruiz Catalán, de Patagonia sin Represas

Maria Josefina Ruiz Catalán travaille pour Patagonia sin Represas. Elle est chargée de décortiquer le volet juridique du programme de barrages, et d’informer les habitants de leurs droits et des conséquences du projet.

Qu’est-ce que vous reprochez au projet d’HydroAysén?

C’est un projet extrêmement mal ficelé et très néfaste pour la région, aussi bien au niveau écologique que pour les traditions culturelles. Les coûts totaux du projet (études d’impact, construction, campagnes de publicité) seront bien plus élevés que les potentielles retombées économiques pour la région d’Aysén. Seul HydroAysén bénéficiera de ce gâchis environnemental et social.

Quelles seraient les conséquences écologiques de la création de ces barrages?

Pour commencer, elle va entraîner l’inondation et donc la destruction de plusieurs écosystèmes dans les forêts riveraines et les zones humides. Ensuite, la fragmentation des cours d’eaux menacera directement plusieurs espèces comme le canard des torrents ou les espèces aquatiques d’eau douce. Enfin, bien que ce soit difficile à prédire, la création des lacs de retenue pourrait entraîner une modification locale du cycle de l’eau.

Et qu’en est-il des conséquences sur les traditions culturelles?

Beaucoup de personnes seront expropriées, car leurs terres seront inondées. En plus de perdre leurs terres et leurs logements, ils seront certainement amenés à abandonner l’élevage traditionnel. Leur vie sera irrémédiablement transformée, et ce sans qu’on ne leur en ait laissé le choix.

Pensez-vous que la construction des barrages générera des retombées économiques positives dans la région d’Aysén?

Non, bien au contraire car l’économie actuelle de la région repose essentiellement sur le tourisme. Or, la construction de ces cinq barrages détériorera à jamais le paysage et en diminuera l’attrait touristique. Cela générera donc une perte de revenus majeure pour le secteur du tourisme qui permet pourtant d’allier savoirs traditionnels et gestion durable des espaces naturels.

Pourtant, HydroAysén assure que son projet créera de nombreux emplois?

C’est vrai, mais seulement pour les 10 prochaines années, c’est-à-dire le temps que les barrages soient construits. La gestion se fera par la suite à distance. Cette situation est donc inacceptable car les emplois ne seront pas pérennes.

Quel est le montant total estimé du projet mené par HydroAysén?

Initialement, le coût estimé annoncé par HydroAysén était de 3 milliards de dollars américains, aujourd’hui il a plus que doublé et s’élève à 7 milliards de dollars. On imagine que la ville de Cochrane ne consommera certainement pas à elle seule toute l’électricité produite…

A qui l’énergie est-elle en fait destinée?

En réalité, 70% de l’énergie produite ira dans le nord du pays pour alimenter les futures exploitations minières.

Comment Patagonia Sin Represas lutte contre HydroAysén?

D’abord nous misons beaucoup sur la sensibilisation des populations locales, que ce soit en utilisant les stations de radio, en allant directement chez les gens ou en faisant une grosse campagne d’affichage le long des routes. Ensuite nous essayons de démontrer scientifiquement au gouvernement que les barrages sont néfastes pour la région d’Aysén, autant au niveau touristique qu’environnemental.

Et concrètement, comment faites-vous pour financer vos actions?

Notre campagne ne vit que grâce aux dons que nous recevons. Pour être honnête, ces dons nous viennent surtout de l’étranger car au Chili, il n’est pas encore dans les mœurs de donner de l’argent à des associations environnementales.

Bref, il n’est pas évident de savoir qui est vraiment derrière ce projet d’une puissance totale de 2750 mégawatts, mais une chose est sûre, pour la population rurale de la région, c’est incompréhensible. HydroAysén est très avare d’informations précises sur la localisation des barrages et sur les conséquences qu’ils auront, aussi bien sur l’environnement que sur les retombées économiques pour la région. Plus surprenant encore, l’Etat chilien a validé très facilement les études d’impact fournies par HydroAysén, alors qu’elles sont manifestement très incomplètes. Par exemple, on cherche encore le nord et l’échelle sur des cartes de la taille d’un ticket de métro sensées indiquer la localisation exacte des barrages. L’administration Piñera semble donc conquise par ce projet, qui ne fait pourtant pas l’unanimité.

A Cochrane, petite ville bordée par le Rio Baker la révolte gronde ! Le seul bar du village sert de QG aux paysans révolutionnaires, lycéens en colère et autres mamies attachées à leurs terres. En chanson ou sur prospectus, tous essayent d’alerter le reste de la population sur le caractère irréversible des barrages. La tâche est ardue. En effet, les familles vivent éloignées les unes que les autres. L’analphabétisme et l’ambiguïté des informations aidant, lorsqu’un représentant d’HydroAysén vient prospecter les lieux, les habitants n’osent pas lui refuser l’accès. Par crainte de se faire arrêter par la police ou pire encore, de se faire exproprier, les citoyens restent passifs devant un avenir qui les dépasse complètement.

Et nous dans tout ça ? On est allées tâter l’ambiance en nous rendant à une manifestation organisée par les associations participant à la campagne Patagonia Sin Represas (Pagatonie sans barrages). Une centaine de personnes, des discours plus émouvants les uns que les autres, et un slogan simple et efficace crié avec conviction : Patagonia sin Represas.

En attendant la décision du gouvernement chilien en avril prochain, les opposants aux barrages continuent de militer avec énergie. Malheureusement, le pire reste sans doute à venir. Effectivement, chose surprenante, pour faire passer la pilule plus facilement, les initiateurs du projet n’ont soumis à l’étude que la création des barrages. L’étude d’impact, pourtant indispensable, sur les lignes à haute tension qui parcourons l’intégralité du pays ne viendra que bien plus tard… Belle stratégie collective entre HydroAysén, Transelec (compagnie suisse qui construira les lignes électriques) et le gouvernement chilien pour que la révolte ne gronde pas dans tout le pays !

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