Petit cours de nucléaire à l’usage du citoyen curieux

Schéma de fonctionnement d'un réacteur à eau bouillante © DR
Schéma de fonctionnement d'un réacteur à eau bouillante © DR

Lundi, dans la centrale nucléaire de Daiichi, une double explosion s’est produite au niveau du réacteur numéro 3, tandis que le réacteur n°2, jugé indemne jusque là semble désormais connaître lui aussi des problèmes de refroidissement.

Une double enceinte de confinement

Même s’ils possèdent des caractéristiques légèrement différentes, les réacteurs de Daiichi ont des points communs, ils sont de type « eau bouillante ». Chaque réacteur nucléaire est placé dans une cuve en acier, qui renferme notamment le combustible. Cette cuve, qui constitue la principale barrière contre les rejets radioactifs est enfermée dans une seconde enceinte, en béton cette fois, le tout étant placé dans un bâtiment.

Le contenu de la cuve

Dans la cuve sont arrangés des «crayons», de longues barres qui contiennent les pastilles de combustible enveloppé dans une enveloppe de zirconium. Cette cuve est baignée dans un circuit de refroidissement à eau, un circuit fermé d’eau hautement purifiée. En fonctionnement normal, l’eau récupère la chaleur libérée par les réactions nucléaires, se vaporise et va entraîner les turbines de production d’électricité. La vapeur est ensuite condensée en sortie de turbine par un second circuit (sans contact avec le circuit principal, donc sans échange de matières radioactives) et la chaleur est rejetée dans la mer. Les centrales françaises à eau pressurisée contiennent un double circuit de refroidissement: l’eau qui circule dans le réacteur transmet sa chaleur à un circuit secondaire qui lui alimente les turbines.

Insuffisance dans la conception

Les explosions survenues lundi dans le bâtiment du réacteur numéro 3 de la centrale de Daiichi n’auraient pas endommagé la cuve du réacteur, selon les autorités japonaises. Onze personnes ont été blessées par les explosions. Tepco, la firme qui opère cette centrale a expliqué que ses installations n’étaient pas conçues pour résister à un tsunami aussi important que celui qui a balayé la côte vendredi, avec des vagues de dix mètres. La centrale de Daiichi devait pouvoir résister à des vagues de 5,7 mètres seulement.

L’arrêt d’urgence

Quand le séisme s’est produit, chacun des réacteurs a été placé en arrêt d’urgence. Dans cette situation, des barres (qui ressemblent aux crayons de combustible) sont alors insérées parmi l’assemblage de combustible. Elles piègent les neutrons émis par les réactions nucléaires et stoppent ainsi le phénomène de fission. Le réacteur est considéré comme arrêté. Mais comme les sous-produits des réactions nucléaires sont radioactifs, ils produisent de la chaleur qui doit être évacuée, et des particules susceptibles de produire des réactions nucléaires (neutrons) qui doivent être absorbés. D’où la nécessité de maintenir en état le circuit de refroidissement, tant qu’il y a du combustible et des produits de fission dans le réacteur. Des opérations qui demandent d’importantes quantité d’électricité, qui sont produites par une série de groupes électrogènes de secours quand la centrale est arrêtée.

Après le séisme, une chaîne d’événements

Une fois mis en arrêt d’urgence, les réacteurs 1 et 3 de la centrale de Daiichi ont connu une succession de défaillances (il semble désormais avéré que le numéro 2 soit aussi touché). D’abord, les générateurs d’électricité de secours n’ont pas pu démarrer, probablement victimes du tsunami consécutif au séisme. Le refroidissement a donc été stoppé, et la température a rapidement grimpé dans le réacteur. L’eau a rapidement atteint la température d’ébullition, produisant de la vapeur et faisant grimper la pression dans la cuve, à la manière d’une cocotte minute. D’après ce que l’on sait, les opérateurs de la centrale ont obtenu l’aval des autorités de sûreté nucléaire pour ouvrir temporairement les valves qui permettent d’évacuer la surpression dans la cuve et éviter qu’elle n’explose. De la vapeur (radioactive et chargée de divers produits de fission) s’est donc accumulée dans la seconde enceinte de confinement (avant d’être relâchée à l’air libre). C’est là que se sont produites les explosions de samedi (réacteur 1) et lundi (réacteur 3).

Pourquoi ces explosions?

Ces explosions en disent un peu sur ce qui se passe dans le cœur du réacteur. La déflagration serait probablement due à la présence d’hydrogène, signe que le zirconium des crayons de combustible a réagi chimiquement avec l’eau à haute température, produisant d’un côté de l’oxyde de zirconium, et de l’autre de l’hydrogène gazeux. Tant que ce dernier reste dans la cuve du réacteur, il n’y a que peu de risques d’explosion, puisqu’il n’y a pas d’oxygène. En principe, des systèmes doivent éliminer cet hydrogène, mais apparemment ils n’ont pas fonctionné. Le souci, c’est que quand les opérateurs ont dépressurisé la cocotte-minute, l’hydrogène s’est retrouvé dans l’enceinte de confinement, qui contient de l’air. L’hydrogène s’est retrouvé en présence d’air, et donc d’oxygène, au point d’exploser. Mais quoi qu’en disent les gros titres, la cuve a résisté (sinon il y aurait évacuation de millions de personnes) et le réacteur n’a pas explosé.

L’iode, premier salut du public

Depuis samedi, on entend que les autorités japonaises se préparent à distribuer de l’iode aux populations potentiellement exposées à une catastrophe nucléaire. Pourquoi de l’iode? Parce l’iode 131 est l’une des principales substances radioactives rejetées dans l’air en cas d’accident massif dans une centrale nucléaire. Comme sa période est courte (la moitié de l’iode se désintègre tous les 8 jours environ), la substance est très radioactive. Et la thyroïde fixe cette iode, au risque de provoquer des tumeurs de l’organe. L’absorption d’iode «stable» permet donc de la saturer pour éviter de fixer l’iode 131. En France, les populations les plus proches des centrales nucléaires (dans un rayon de 10 km) reçoivent en principe des bons leur permettant de se procurer gratuitement des comprimés d’iode stable, à avaler en cas d’accident nucléaire. D’après les dépêches qui tombent, il semble qu’une telle précaution n’ait pas été prise au Japon.

Qu’est ce que la fusion évoquée par les médias?

Compte-tenu de la chaleur infernale qui règne dans les réacteurs endommagés (on parle de 2000 degrés), le combustible (un métal) peut se mettre à fondre, d’autant plus si le niveau d’eau baisse dans le réacteur. Tant que le combustible reste bloqué dans les gaines des crayons, tout va bien. Mais s’il sort des crayons, il s’accumule au fond de la cuve, et c’est là que les vrais ennuis commencent. Car au fond, il n’y a plus de barres de contrôle. Donc la radioactivité peut, une fois une «masse critique» atteinte, redémarrer la réaction de fission en chaîne, cette fois de manière totalement incontrôlable.

Que font les responsables de la centrale de Daiichi?

Puisque les circuit de refroidissement des réacteurs 1 et 3 (et sans doute le 2) semblent hors-service, les ingénieurs ont donc décidé de noyer ces deux réacteur en injectant de l’eau de mer, additionnée de bore (qui capte les neutrons émis par les matières radioactives). Après avoir hésité parce que cette opération détruit définitivement le réacteur. On ne sait pas très bien si cela a marché ou pas car les dépêches sont contradictoires à ce sujet. Une explication probable à cela: les instruments qui mesurent la pression sont peut-être hors-service. Le décryptage des informations publiques laisse penser que les « sauveteurs » de la centrale travaillent à l’aveugle. Ils ne savaient pas que de l’hydrogène était présent, et on pris le risque de dépressuriser la cuve, et donc de provoquer une explosion. L’ampleur de la fusion de combustible reste mal connue, même si les indications de présence de césium dans les vapeurs relâchées laissent penser que le phénomène est engagé.

Quelle issue pour les deux réacteurs?

Si les ingénieurs prennent véritablement le contrôle de la température et de la pression des deux réacteurs, il faudra maintenir le système en l’état de longues semaines, voire de longs mois, le temps d’extraire le combustible et les produits de fission du réacteur (d’ordinaire le combustible usagé retiré lors des opérations de maintenance est stocké en piscine de refroidissement avant de pouvoir être retraité). S’ils n’y parviennent pas et que le combustible continue à s’accumuler au fond de la cuve, il sera beaucoup plus difficile de reprendre le contrôle de la situation tout en évitant des rejets massifs de substances radioactives à l’extérieur. C’est sans doute pour cela que les autorités japonaises ont procédé à de larges évacuations et préparé la distribution d’iode, pour préserver la santé de la population en cas de rejets d’iode radioactive. Mieux vaut se préparer au pire!

Que craindre d’une nouvelle secousse?

Selon les sismologues, et d’après l’analyse des centaines de séismes survenus depuis vendredi, il y a 70% de probabilité qu’une secousse de magnitude supérieure à 7 se produise d’ici mercredi dans la région, et de 50% au delà. Mais ils ne peuvent être plus précis sur l’énergie impliquée. Les cuves des réacteurs ont résisté à une secousse de magnitude 9. On peut donc espérer que les réacteurs —et les dispositifs de secours— tiendront le coup en cas de nouveau séisme d’ampleur. Mais là, il ne nous reste qu’à allumer des cierges!

Lire également: une interview donnée ce matin au site internet de France Télévisions. «Fukushima, ce n’est pas Tchernobyl».

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