L’espion du Royaume a trahi ses verts amis

manifestation de soutien aux militants écologistes poursuivis en Grande-Bretagne © ratcliffeontrial.org
manifestation de soutien aux militants écologistes poursuivis en Grande-Bretagne © ratcliffeontrial.org

Il était de toutes les grandes opérations des «éco-warriors» qui ont secoué la Grande-Bretagne et d’autres pays européens ces dernières années. Mark Kennedy “Stone”, de son vrai nom, avait le look de circonstance: longs cheveux, tatouages, gros anneau à l’oreille. Doté d’un faux-passeport et d’un faux permis de conduire, il avait pris contact avec les écolos en 2003, profitant de fonds généreux et d’un pick-up pour se rendre indispensable auprès de ses nouveaux compagnons. En 2004, il participe aux manifestations contre la tenue d’un G8 en Ecosse. En 2005, il grimpe aux arbres de Londres pour installer une bannière contre le géant BP. Puis file en Islande, appuyer les écologistes locaux qui protestent contre la construction d’un barrage. Mark Kennedy “Stone” se lie avec tout ce qui dérange l’Etat britannique: collectifs anarchistes, groupes écologistes, mouvance de protection des droits de l’animal —connue pour des actions parfois violentes.

Selon les témoignages rapportés par le Guardian, Kennedy n’était pas un orateur. Mais il profitait de sa générosité —celle du contribuable britannique— et de son humour, pour se lier avec tout le monde. A force, il a pris du galon, et s’est vu confier l’organisation d’opérations , comme le camp d’Heathrow, érigé pour tenter d’empêcher l’extension de l’aéroport londonien. En 2008, devant son omniprésence, des soupçons commencent à voir le jour, et certains écolos le surnomment «détective Stone». Est-ce parce que c’est l’un des rares à consommer de la viande, dans une mouvance végétarienne? Un an plus tard, le lundi de Pâques 2009, quatre cent policiers investissent —comme par hasard— une école de Nottingham où se massent 114 militants qui se préparent à s’introduire dans la centrale à charbon de Ratcliffe-on-Soar.

L’opération avait été conçue —quatre mois durant— par Kennedy “Stone”, n’hésitant pas à aller en mission de reconnaissance pour déterminer le moyen le plus efficace pour pénétrer sur le site. Il prête sa maison pour les réunions de préparation, loue lui-même un petit camion. Tout fonctionne sur du velours jusqu’à l’arrestation de 27 militants, dont l’agent infiltré qui commet une erreur qui va réveiller les soupçons. Il prend son propre avocat, et les charges contre lui sont rapidement abandonnées. A l’aube du 21 octobre dernier, l’un de ses compagnons de circonstance découvre son vrai passeport. Kennedy “Stone” craque. En larmes, il avoue son forfait et explique qu’un autre agent a infiltré les mouvements écolos, sans le dénoncer. Puis quitte la Grande-Bretagne, en expliquant à ses «amis» et à leurs avocats qu’il va les aider. Puis, il y a quelques semaines, alors que se déroule le procès de l’opération Ratcliffe-on-Soar, il rompt tout contact, expliquant qu’il a peur pour sa famille et ses proches.

La Une du Guardian du 11 janvier 2010 © DR
La Une du Guardian du 11 janvier 2010 © DR

Le procès est très médiatisé, notamment par la présence du célèbre climatologue «activiste» de la Nasa, James Hansen. Bizarrement, seuls 26 des suspects sont poursuivis. Lors d’une audience, les avocats des militants écologistes réclament que des documents de la police soient déclassifiés. Ils font mouche: alors que les accusés ont été déclarés coupable et encourent des peines de prison ferme, le procureur annonce aux avocats que de nouvelles pièces le conduisent à revoir sa position, tout en refusant de dire si les documents concernent le rôle du policier Kennedy. Puis les accusés écoutent le juge, stupéfaits: «Vous êtes des femmes et des hommes de morale, qui expriment une véritable attention aux autres, et veillent en particulier à conserver la planète dans un état proche de ce qu’elle est aujourd’hui.» Exit la prison, les coupables écopent de dispenses de peines de 12 à 18 mois (1) et de travaux d’intérêt général.

L’affaire n’est pas terminée pour autant. Il reste aussi à découvrir l’identité du second policier, dont l’existence a été évoquée par Kennedy. Mais ce sont surtout les méthodes de la police britannique qui sont désormais sur la sellette.

L’une des questions qui agite la Grande-Bretagne porte sur la manière dont Mark Kennedy “Stone” a conduit sa «vie privée» pendant les sept années de l’opération. Une jeune femme accuse ce dernier d’avoir eu des relations sexuelles avec elle, à une vingtaine de reprises. Bien que Kennedy était marié à l’époque des faits, elle affirme qu’elle n’est pas la seule «victime» de son appétit. Le sexe serait-il une tactique officiellement approuvée en haut lieu pour améliorer l’efficacité des policiers infiltrés? Officiellement, ces derniers doivent tenir leur agent traitant informé de toutes leurs activités, et aborder les problèmes moraux qui se présentent au cours de l’opération. La question a été évoquée au Parlement britannique et un membre de l’organisme d’évaluation de la police, la Metropolitan Office Authority a demandé l’ouverture d’une enquête sur le comportement de Mark Kennedy. L’ancienne responsable de l’organisme a rappelé que «la police a le devoir de protéger, même les personnes infiltrées».

• Le second policier infiltré a été découvert.
• Voir le dossier du Guardian.

(1) Disposition du droit britannique, la conditional discharge revient à dispenser le coupable de peine. Elle devient définitive à l’issue d’une durée fixée par le tribunal si, au cours de ce délai, aucun délit n’a été commis.

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