La “Mierda” est de retour

Janvier 2003, la chasse au pétrole du Prestige © Denis Delbecq
Janvier 2003, la chasse au pétrole du Prestige © Denis Delbecq

Cette fois, ça y est. Les premières flaques de mierda ont touché les côtes de Louisiane. Et ça promet de jolis dégâts dans une région où la terre et la mer se mélangent dans de gigantesques étendues marécageuses.

Bien évidemment, cette affaire affiche la même odeur que beaucoup d’autres: Torrey Canyon, Amoco Cadiz, Exxon Valdez, Erika, Prestige… Autant de navires —pour ne citer que ceux-là— qui sont allés souiller la côte. Il faudra ajouter Horizon, un drôle de nom pour une plateforme qui a repeint cette ligne magique d’un marron puant.

La carte que publie le Monde a des airs de tectonique des plaques. La nappe semble prête à se lover dans cette côte particulièrement fragile, si apte à capter les pollutions. Ça promet, même s’il faut raison garder. En écoutant la radio ce matin, j’entendais que la nappe menace désormais plus de quatre cents espèces animales. Et ça a sonné bizarre. Sans doute parce que l’expression «espèce menacée» résonne-t-elle de tout autre chose?

En lisant un article du Monde, sur cette étrange idée de brûler la nappe en mer, il me vient une question. On parle de barils, de mètres cubes, mais finalement pas grand chose de clair, pas d’unité qui mettrait tout le monde d’accord. Alors prenons la calculette. Le baril vaut 159 litres, le mètre cube pèse —à la louche— huit cent kilos. Il y aurait donc, en ce moment, 32 000 tonnes de brut en goguette, auxquels s’ajouteraient 600 tonnes quotidiennes venus du puits en fuite. Par comparaison, l’Amoco embarquait 227 000 tonnes, l’Erika, 30 000 tonnes, et le Prestige, 77 000 tonnes.

Ne voyez pas dans ces chiffres une quelconque tentative de banalisation de la catastrophe de l’Horizon. Une fois à terre, chaque tonne de pétrole est une tonne de pétrole, et quand on la prend sur la tête, on souffre. Chaque humain qui vit de la mer est une victime, qu’il soit pêcheur, éleveur de crevettes ou qu’il vive du tourisme. Victime qui le ressent comme tel avant même d’avoir été frappée, d’ailleurs. C’est ce que j’avais constaté à Saint-Jean-de-Luz, en janvier 2003, envoyé par Libé attendre l’arrivée du pétrole du Prestige, ne voyant rien venir sauf la peur des hommes. Et puis la mierda est arrivée, une fois le reporter parti en mer suivre les opérations de nettoyage au large. Ça avait quelque chose d’absurde de voir ces efforts surhumains, ces marins épuisés par plus d’un mois de lutte contre des crottes qu’on aurait dit larguée par quelque ptérodactyle. L’impression de ramasser la diarrhée du Prestige à la petite cuiller, l’estomac malmené par la houle du large (1).

Il y a déjà trente ans, ado, j’avais été scotché, c’est le mot, par d’innombrables plaques de «goudron» sur les plages de Galveston. Je n’ose imaginer ce que cela est devenu. Le Golfe du Mexique a été abandonné depuis longtemps. Aux exploitants pétroliers (plus de 3500 plate-formes), et à l’agriculture industrielle dont les rejets transforment épisodiquement une large région autour de l’embouchure du Mississippi en véritable zone morte, dans laquelle aucune vie n’est possible. Cette pollution-là ne provoque ni emballement, ni déploiement d’envoyés spéciaux. Pas plus que la « vraie » pollution pétrolière, invisible, insidieuse. Chaque année, ce sont des dizaines d’Erika qui sont ainsi rejetés dans les océans de la planète, dans l’indifférence générale.

J’ai fait un rêve l’autre jour, en apprenant cette catastrophe. Qu’on arrête enfin de donner des noms évocateurs à ces constructions qui peuvent à tout instant menacer océans et rivages. Horizon? Et pourquoi pas Equateur, Alizé, Estran, tant qu’on y est. L’horizon, c’est la ligne qui a attiré les premiers marins conquérants, prêts à en découdre pour aller voir ce qu’il cache. L’horizon, aujourd’hui, pour la Louisiane, et demain sans doute pour l’Alabama, c’est un machin nauséabond largué par la folie des hommes. Sept ans après, la seule évocation de marée noire me replonge dans cette semaine passée à me vautrer sur le pont huileux d’un supply de la Marine nationale. Une odeur qui ne m’a jamais quitté. On a la Madeleine de Proust qu’on peut.

(1) Pour ceux que cela intéresse, une galerie de photos de ce reportage est en ligne.

20 commentaires

  1. Bonjour,

    Deux petits détails supplémentaires. D’une part, BP (Burning Petroleum?) avait diminué les fuites d’un facteur pour ne pas faire paniquer le bon peuple – c’est NOAA qui a mesuré l’étendu des dégâts.
    D’autre part, le puits de pétrole manquait une soupape de sécurité qui permet de fermer le puits par commande à distance. Cet équipement est obligatoire en Norvège et au Brésil, mais pas encore aux US, où BP et les autres s’opposent avec succès contre des mesures de sécurité contraignantes.

  2. – Cela pourrait-il signifier le début de la fin pour BP ? Il semble clair qu’ils vont devoir payer des sommes faramineuses dans le contexte que l’on connaît et leur image va en prendre un sérieux coût. Beyond Petroleum est tellement englué dans le pétrole qu’il n’est pas dit qu’ils en sortent jamais.

    – L’ère du pétrole chère et sale durera-t-elle longtemps ? Ce n’est pas dit, on pourrait assister à une accélération sur versant descendant de la courbe de Hubbert. En attendant, nous n’avons jamais été aussi dépendants du pétrole (cfr. Volcan Islandais) mais tout va bien vu les économistes et les politiciens ont tout prévu. Ouf !

    1. A quelque chose malheur est bon.
      En attendant la chute inéluctable, cette nouvelle catastrophe environnementale aidera à renforcer la prise de conscience, même s’il restera toujours un « BMD » quelque part pour expliquer que ce n’est pas si grave, et que çà sent bon. Cette nouvelle nappe, elle a surtout l’odeur de la bêtise humaine, et le goût de la cupidité … on aime ou on n’aime pas, c’est selon.

      1. Où ai-je dit que ce n’était pas grave? Je souligne simplement la contradiction entre la critique des compagnies et l’accroissement de la consommation. Et je prétends que l’écolo bobo a souvent des positions que son comportement dément.En êtes vous un?
        Comme on dit, c’est au pied du mur que l’on voit le maçon.

      2. Il se met où le pétrole sur les vélib ?

  3. Ajoutons à cet excellent article, ce que j’ai appris à la lecture du Monde, c’est que c’est au moins la quatrième catastrophe de ce type (plate-forme) avec à chaque fois des quantités de pétrole extrêmement importantes.
    Par ailleurs, je suis content ils vont bientôt forer dans l’antarctique, dans des conditions encore plus extrêmes, ça ferra joli le blanc et le noir !!
    il y a vraiment des moments ou j’ai envie de vomir ou de tuer .

  4. L’odeur du pétrole est agréable au nez du professionnel endurci, sauf quand il y a un peu trop de molécules soufrées.
    Il est de bon ton chez les écolos bobos à la fois de vouer les compagnies pétrolières aux génomies et de consommer goulûment ce qu’elles produisent. Papa Freud aurait sans doute donné une explication à cette contradiction, s’il était encore parmi nous.
    Et le pétrole, c’est comme la drogue. Arrêter d’en consommer, ce serait ruiner les compagnies si détestées. Mais on observe que la consommation ne fait que croître!

  5. Il est de bon ton de dire que les écolos de déplacent en avion, 4×4 et poluent beaucoup, alors que les ultra libéraux roulent en vélo, vont en vacances en train, et ont des maisons isolées.
    Mais statistiquement (en supposant qu’il y en ait), est ce vrai ???

    1. Pluie, Certes, les ultra libéraux font de très vilaines choses, mais cela ne prouve en rien que les écolos n’en font pas autant. Peut-être aurez- vous observé qu’ Europe-Ecologie a surtout piqué des électeurs au Modem (on dirait un système de vases communiquants), qui recrute beaucoup dans la classe moyenne bon chic bon genre, et que Corinne Lepage, cette pauvre avocate sans le sou, a quitté le Modem pour essayer de rejoindre l’Etat-Major d’Europe-Ecologie (a-t-elle réussi?). On observe aussi que les meilleurs scores sont venus des très grandes agglomérations à haut niveau de vie. çà m’étonnerais beaucoup qu’ils viennent du prolétariat des banlieues.
      J’ai connu en son temps la mode de la chlorophylle, on en mettait partout, comme le bio maintenant.
      Finalement n’y aurait-il pas parmi les écolos des gens qui suivent une mode ou qui se dédouannent ainsi de ce fameux complexe de culpabilité appelé, je ne sais pas pourquoi, judéo-chrétien?
      Si vous fréquentez ce milieu, regardez attentivement autour de vous!

      1. Belle statistique que de citer trois noms de dirigeants de partis !
        La réalité est que des gens font des efforts, et d’autres pas, et ceux qui font des efforts ne sont pas dans les ultra libéraux !

      2. Je ne crois pas que vous ayez réalisé que la moitié des Africains sont maintenant dans des villes tentaculaires, et que cela ne fait que croître et embellir, si j’ose dire.
        J’ai visité la Chine alors que dans les campagnes on ne voyait encore que très rarement des voitures, et j’y ai vu ensuite l’industrialisation à marche forcée. Et les Chinois, loin de conserver ce mode de vie champêtre et patriarcal que nous avons perdu et qui faisait comme chacun sait notre bonheur, se sont précipités pour adopter notre mode de vie. Et certains, dans les classes moyennes aisées, se livrent aux mêmes excès que nos ultralibéraux, comme le dit Pluie.
        Je connais également bien l’Afrique, où l’on peut faire la même observation, mais à une moindre échelle, car les moyens financiers ne sont pas les mêmes..

        Vous attribuez des qualités exceptionnelles à des gens qui n’en ont pas plus que nous. Ils ne se restreignent que parce qu’ils sont forcés de le faire, et se défouleraient comme les autres s’ils en avaient l’occasion.
        Vous ne faites que projeter sur d’autres une vision de la société que vous vous êtes construit.

      3. Que cette taxe sur la vanité qu’est le luxe soit présente ailleurs c’est pas nouveau, que ce qui passe comme un mode de vie de classe moyenne française soit un truc de riche chez les pauvres c’est pas étonnant… De là à imaginer que ce qui fait rêver la majorité des chinois c’est la surconsommation et qu’on peut appeler « villes » des tas d’ordure sur lesquels se dressent des cabanes précaires autour de zones urbaines bunkerisées, bof…

        Le PIB par habitant de la Chine il se situe entre le Guatemala et le Gabon, faudrait peut être pas l’oublier quand on y voit des embouteillages de Mercedes… « Les lumières des villes sont payés par l’obscurité des campagnes »…

      4. Vous faites allusion aux gens qui habitent les alentours des grandes villes africaines et qui sont polluées par notre mode de vie, vous devriez voir du coté des tribus habitant au coeur de la brousse où voir une voiture est un évènement exceptionnel, on peut aussi y ajouter les habitants des hauts-plateaux andins, les inuits du bord groenland es indiens d’amazonie, les paysans du Laos etc….

        Notre mode de vie a tendance à être imité pour son apparente facilité; je ne vous souhaites pas de vous retrouver sdf, vous comprendriez à ce moment notre grande erreur.

      5. Erreur de manip la réponse ci-dessus est destinée à BMD

  6. Perso je pense qu’il ne sert à rien de se renvoyer la faute, nous sommes tous coupables (par là j’entends les habitants des pays dits civilisés) La mondialisation accélérant les dégats….

  7. Robert, croyez-vous au mythe du bon sauvage? Les habitants des pays non-civilisés, les sauvages par conséquent, n’ont rien de plus pressé quand ils le peuvent que d’acheter sur le  » marché parallèle » les bagnoles dont ne veulent plus les civilisés. Et de piquer le pétrole dans les oléoducs, comme dans la région de Warri au Nigéria ou ce petit jeu à déjà fait plus de 1000 morts par explosion et une pollution épouvantable en quelques années. Et bien sûr ils sont déjà presque tous équipés de téléphones portables, qui leur sont d’ailleurs plus utiles qu’à nous.

    1. ah oui, l’africain qui pollue, figure éternelle de la réthorique climato sceptique.
      Mais l’africain qui pollue le fait 100 fois moins que vous ou moi, quant bien même il y aurait un facteur 4 entre vous et moi. Mais ca dédouanne de faire des efforts que de dire que les moins riches du monde n’en font pas !

    2. «  » » »Robert, croyez-vous au mythe du bon sauvage? . » » » »

      Honnêtement, je ne sais pas qui est le plus sauvage ? Celui qui respecte l’environnement dont il dépend et tente de vivre en harmonie avec la nature ne prélevant que ce qui lui est nécessaire ou nous qui pillons allègrement pour satisfaire des besoins que nous nous sommes inventés? Franchement, ayant eu l’occasion de fréquenter certaines ethnies, je n’ai pas l’impression que les civilisés ce soit nous.

  8. Même quand la merde noire vient tout dégueulasser, il se trouve encore des gens pour déverser des arguties à deux balles sur Internet… c’est vraiment consternant. Denis fait un beau texte qui ne demande qu’à être lu et certains ne peuvent pas s’empêcher de venir tout salir en posant une petite crotte inutile en dessous… quelle tristesse.

  9. Je reviens à la charge avec mon crédo … car tout le monde est d’accord.

    Le débat des années 70 sur la bombe population, la limitations des ressources et donc les limites à la croissance fut le débat qui a vu naître la réflexion écologique. Ce débat n’a pas été conclu mais ballayé d’un revers de la main par la pensée dominante au prétexte que ce débat aurait des contours fascisants et que le génie humain trouve toujours des solutions. Les écolos doivent se réapproprier ce débat qui leur a fait tant de mal mais qui pose les premières question qu’un vrai démocrate devrait se poser. Sachant que nos actes sont d’abord fonction des moyens à notre portée, il me semble légitime de poser la question des moyens avant de poser la questions des effets et cela même si pour certains d’entre nous le RCA reste le premier des enjeux (ce qui au niveau des impacts potentiels est fort compréhensible).

    Le grotesque de la situation présente est de voir l’argumentation anti écolos qui portait sur Malthus hier, et puis sur l’existence d’un RC après, s’attaquer maintenant au RCA tout en insistant pour certains sur le fait qu’il est urgent de reconnaître Matlhus (manque de pétrole, d’eau, etc). On se fout de qui ? Parmi les sceptiques médiatiques, j’y vois plus une guerre de petis égos assoifés de reconnaissance qu’une vraie démarche constructive. Ces nouveaux sceptiques déclarent même avoir compris ce que serait la bonne écologie (Woua!), celle qui ne fait pas peur (Aha …), tout en reconnaissant Malthus (Oho!), la bête noire de la démocratie. Ce genre d’uluberlus nous sert de la langue de bois à toutes les sauces tout en s’arrageant pour nous empêcher d’avancer sur tous les fronts et nous faire tourner en rond.

    Etant donné que la crise systémique actuelle est la conséquence des limites à la croissance concrétisée par le passage du pic pétrolier, j’aimerais voir les écolos sortir du jeu politicien et confronter leurs électeurs aux limites à la croissance pour conscientiser le plus grand nombre et pour élever le débat d’un cran. Un débat urgent pour ceux qui n’en comprennent pas les tenants et les aboutissants.

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