«Si la patrouille climat ne passe pas, il y aura la patrouille pétrole derrière»

© Denis Delbecq
© Denis Delbecq

Ça, c’est du Borloo pur jus. Même fatigué, le ministre a le sens de la formule quand il s’agit de parler de la lutte contre le réchauffement climatique. A quelques jours de l’entrée en scène des acteurs de Copenhague, j’ai pu passer deux heures mercredi soir avec le ministre, qui avait invité quelques blogueurs pour défendre son plan « Justice climat » (1).

Puisque le sujet déchaîne les passions, commençons par le climategate, qui n’était pas à l’ordre du jour de cet échange. Inutile de dire que le sujet ne fait pas recette dans la sphère dirigeante. Et Borloo m’a expliqué que le sujet n’a pas été évoqué lors des échanges avec ses collègues étrangers. «J’en ai juste parlé avec Jouzel et le Treut, a expliqué Borloo. Vous savez, eu égard aux enjeux, il s’agit quand même à Copenhague de changer le mix énergétique mondial. Alors les sceptiques n’arrêteront pas la machine. Le [climategate] est une attaque faible et tardive. Je m’attendais à une offensive beaucoup plus tôt et beaucoup plus forte, mais elle n’est pas venu. Les gens savent bien que même s’il n’y avait qu’une chance sur deux que la terre se réchauffe, personne ne prendra le risque de ne rien faire. Beaucoup de pays subissent déjà de plein fouet le réchauffement, comme l’Inde, la Chine, le Japon, le Bengladesh.» Et Borloo de souligner que des climatologues chinois lui ont dit combien les dirigeants sont plus inquiet que le Giec pour l’avenir. Et selon Borloo, la Chine a compris qu’elle ne restera pas éternellement l’usine à bas prix du reste du monde. «Elle a décidé d’être leader sur le bas carbone». Comprenez, il y a bien une guerre économique dans tout ça, et personne n’a d’autre choix que de foncer vers le green business.

Revenons donc au plan justice climat. Borloo se défend de faire bande à part au sein de l’Europe, lui qui a multiplié les rencontres avec les dirigeants dans les pays du sud. «Qui était allé voir le premier ministre éthiopien qui parlera au nom de l’Afrique à Copenhague? J’y suis allé deux fois. Pas parce que je suis un héros, mais parce que c’est la moindre des choses…»

Borloo a martelé, à plusieurs reprises, que les mécanismes mis en place à Kyoto n’ont pas permis d’aider les pays qui en ont le plus besoin. (NDLR, c’est la Chine qui en a le plus profité des mécanismes de compensations de Kyoto, l’Afrique n’a rien vu venir). Donc, pour résumé le plan « justice climat », Borloo propose que les pays riches financent, sur fonds publics, les pays les plus vulnérables, et certaines régions plus vulnérables des grands pays émergents (comme le sud de l’Inde). Pour, par exemple offrir à l’Afrique l’énergie dont elle a besoin pour se développer, en 100% renouvelable (biomasse, barrages, solaire, éolien etc.), et aider le continent à s’adapter au réchauffement. Mais aussi aider des pays comme le Cambodge, le Bengladesh, le Laos ou des états insulaires. «En plus, c’est dans ces pays que ça coûte le moins cher de produire propre», a justifié Borloo. Comprendre qu’il serait débile de ne pas se lancer dans ce plan. «Il ne s’agit pas de balancer des chiffres plus importants que le voisin, genre si tu mets dix milliards de plus, t’es un héros. Il s’agit de garantir un financement stable, prévisible, sur la durée.» Et sur le financement, pas question de dire des mots qui fâchent. «On ne dit pas qu’il faut faire une taxe sur les transactions financières. Si on le faisait, le temps que tout le monde s’engueule, l’Afrique ne verrait rien venir. Donc on pose un principe, un cadre pour le versement de cette aide aux pays vulnérables. Et, si c’est accepté, on discutera alors du mode de financement. Vu l’état des budgets publics, les financements innovants vont vite séduire nos partenaires.»

C’est marrant quand même. Un ministre français qui se préoccupe des pays pauvres, qui évoque —sans la nommer— la taxe Tobin… Un ministre sarkozien shooté à l’altermondialisme, ça tranche avec les huiles de l’UMP, non?

Un sujet vidéo tourné par mes étudiants, et diffusé sur le site de l’Express:

22 commentaires

  1. « il y a bien une guerre économique dans tout ça, et personne n’a d’autre choix que de foncer vers le green business. »

    J’aime bien cette pensée très lucide, elle résume pas mal la situation, je trouve…

  2. D’accord avec Lambda mais c’est le mot business qui est gênant !

  3. Salut Denis! Tu as une date pour le sujet en video?

      1. Merci Denis! Je regarderais avec beaucoup d’interêt!

  4. Borloo, l’homme qui veut arrêter le dérèglement climatique (« c’est facile, c’est à notre portée, ça va être le bonheur », qu’il dit, pendant l’été pourri 2007) : http://www.youtube.com/watch?v=xkluWk-RbIg
    Et maintenant, il veut sauver l’Afrique !
    C’est quoi son prochain grand objectif, sauver la Sécu ?

    Eh Denis, si vous voulez un truc qui fait vraiment pschiiiiiit, vous l’aviez devant vous, pendant deux heures mercredi soir. Ne buvez pas son kool-aid pendant qu’il vous anesthésie avec le coup larmoyant de l’enfant africain à l’estomac vide, c’est très toxique pour l’esprit critique.

    1. En même temps s’il a réussi à sauver Valenciennes, à coté le climat et l’Afrique c’est une promenade de santé…

      1. ah oui, tiens, sauver Valenciennes, avec son taux de chômage parmi le plus élevé de France, c’est bonne idée ça, pour super-Borloo qui veut sauver la planète.

        Denis, vous pouvez peut-être dire à ce clown que le principal souci des Français, et surtout des Valenciennois, c’est pas la faim dans le monde voire la fin du monde mais la fin du mois.

      2. C’est Tilleul qui sait tout ça.

  5. «Si la patrouille climat ne passe pas, il y aura la patrouille pétrole derrière»

    Peu importe la véracité du RCA, le problème auquel font face nos politiques sans nous le dire s’appelle le PIC PETROLIER. Enfin là il y a un demi aveu quand même.

    En effet la prise de conscience massive de l’inconcevable merdier qui nous attend reviendrait à dire aux enfants qu’on va fermer le parc d’attraction et on veut pas leur faire de la peine.

    1. C’est quand même marrant de savoir qu’on a une solution toute prête, qui a fait ses preuves, qui est capable de fournir toute l’énergie dont on a besoin pendant des millénaires, de savoir aussi que l’absence de pétrole n’est en rien une gène pour toutes les applications qui l’utilisent, et que tous les problèmes sont connus et ont une solution, et de continuer à penser et à proclamer que ce manque de pétrole sera un « inconcevable merdier ».
      Ou plutôt, c’est de l’ignorance. Crasse.

    2. Je suis d’accord avec vous, nos gouvernants se sont fait prendre à leur propre piège, c’est la rançon de la croissance et la note est salée. Mais quand se décideront-ils à affronter le réel, quand on sera au pied du mur, quand le peuple défiera le pouvoir ? Si oui, on est mal.

      Dans l’échelle des menaces, je pense que le RCA est une menace d’un tout autre ordre. Le passage du pic menace la civilisation alors que le RCA menace la vie évoluée (cfr.les grandes extinction). Je ne pense pas que la décroissance énergétique va régler le problème du climat même si cela va déjà nous limiter pas mal.

      Maintenant tout dépend de ce que l’on fait pendant la descente énergétique, cela dépend surtout des énergies de substitutions que nous développerons et à quel rythme. Sera-t-on capable d’expliquer les enjeux aux citoyens, sera-t-on capable d’adoucir la chute ?

      Voici une explication que je trouve assez claire sur le mécanisme du pic pétrolier.

      1) Une hausse rapide du prix du pétrole due à une offre insuffisante et amplifiée par la spéculation entraîne des dégâts économiques et financiers.

      2) Comme l’illustrent les crises asiatique de 1998, des valeurs technologiques de 2001, et économico-financière de 2009, un ralentissement économique ou une récession fait baisser la demande en pétrole. Ce faisant, le prix du pétrole diminue lui aussi, ce qui provoque l’annulation de nombreux projets énergétiques (pétroliers et renouvelables), soit parce que ces projets deviennent économiquement moins rentables, soit par manque de crédits pour les mettre en œuvre.

      3) Une reprise économique et/ou un recul ponctuel des investissements énergétiques fait de nouveau s’entrechoquer les courbes d’offre et de demande en pétrole, dans le premier cas parce que la demande augmente, dans le second cas parce que l’offre finit par diminuer. Il en résulte une nouvelle flambée des prix du pétrole qui nous ramène au point 1).

      http://www.aspo.be/index6.html

  6. A noter qu’il y a également eu une tentative d’effraction dans un autre centre de recherche avec même des faux techniciens réseaux qui se sont présentés pour pouvoir piquer des données !

    http://www.nationalpost.com/news/story.html?id=2300282

    « University of Victoria spokeswoman Patty Pitts said there have also been attempts to hack into climate scientists’ computers, as well as incidents in which people impersonated network technicians to try to gain access to campus offices and data. »



  7. Quand le peakisme relativise le réchauffisme …

    Comme le fait remarquer Kjell Aleklett, la vrai question que devraient se poser les négociateurs à Copenhague est de savoir quel avenir nous allons donner au charbon.

    http://aleklett.wordpress.com/

  8. Et la décroissance économique suit petit bonhomme de chemin, mais attention, c’est un sujet bien trop grave que pour être évoquer car ce concept peut menacer nos économies qui en ont vu d’autres.

    Après avoir traité le catastrophisme de tous les mots, l’acte vertueux par excellence pour le citoyen n’est-il pas en train de devenir la capacité à s’autopersuader que tout va bien que la reprise est là ?

    Pourtant il y a des signes …

    Requiem for a dying city – The fate of Saint-Nazaire
    http://www.energybulletin.net/51844

    1. Il y en a que ça va réjouir. La décroissance et la mort prévue du chantier naval de St-Nazaire permettra d’émettre moins de CO2…
      En ce qui me concerne, ça me désole que les asiatiques soient plus compétitifs et les navires qui ne seront pas construits là seront construits ailleurs. En Chine, les chantiers navals sont florissants.

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