L’imagination n’est pas au pouvoir

Tiens, tiens, la phase de préparation du Grenelle est achevée, et c’est maintenant que les débats intéressants surgissent. Le vrai débat de fond sur l’énergie, du moins. Et c’est bien évidemment le nucléaire qui est au nœud de l’affaire. Le compte-rendu du colloque organisé mercredi au Sénat est assez éloquent.

Comment réduire nos émissions de gaz carbonique? Il y a des réponses consensuelles: développer la biomasse dans les petites et grandes chaudières, développer les transports peu émetteurs (rail, fluvial, mer), inciter les consommateurs à choisir des produits plus efficaces (étiquetage), isoler les logements, etc. Et puis il y a l’électricité, là le consensus vole en éclat.

Les associations et sénateurs qui ont organisé le colloque du 10 octobre affichent clairement la couleur: il faut plus d’électricité, et nucléaire s’il vous plait. Il faut arrêter de construire des éoliennes, et oublier l’électricité solaire, et construire tout de suite un second réacteur EPR. Il faut développer les usages de l’électricité et retapisser le territoire de bonnes grosses centrales qui produisent des déchets dont on ne sait que faire. De formidables pylônes à haute tension qui traversent toutes les régions, et pourquoi pas les réserves naturelles… Et plein d’argent pour vanter les mérites du tout électrique. On se demande pourquoi les Académies des sciences, des technologies, et des beaux-arts (sic!) sortent de leur rôle en cautionnant une telle entreprise.

Même l’Agence internationale de l’énergie atomique n’ose plus pousser à la roue du nucléaire comme solution à l’effet de serre tant elle sait que c’est irréaliste. Le comité du dix octobre lui n’a pas froid aux yeux. Il explique que si tous les pays de l’OCDE voulaientt se donner la main pour se jeter tête baissée dans le nucléaire, ils émettraient sept fois moins de carbone? C’est sans doute vrai, mais il n’y aurait sans doute pas assez d’argent pour ériger autant de centrales, et le temps manqueraient. Peut-être nos amis du «10 octobre» (1) aimeraient-ils supprimer la phase de débat, les enquêtes d’utilité publiques déjà bâclées au mépris de la démocratie la plus élémentaire, pour gagner du temps?

Sans doutes les mouvements écologistes rêvent-ils debout en réclamant en même temps la chasse au carbone et l’abandon du nucléaire. L’atome reste utile là où il existe. les écologistes se trompent sans doute en ne mettant en avant que la production d’énergie tirée du vent ou du soleil. Mais il existe une troisième voie, celle de la sobriété et de la décentralisation. Le rapport Syrota (2) qui est publié aujourd’hui, l’a balayée d’un revers de la main, pour défendre, finalement, la même ligne pronucléaire que le comité du dix octobre.

Cette voix, ce sont des organisations comme Négawatt ou Global Chance qui la portent. Elles ont d’ailleurs vivement réagi aux conclusions de Syrota. Puisqu’il n’est pas question ici de jouer les CSA du temps de parole, je vais donc leur «tendre le micro». Les économistes de Négawatt ont élaboré un scénario permettant de remplir l’engagement, fixé dans la loi depuis 2005, de réduire nos rejets de carbone de 75% à l’horizon 2050 (le célèbre «facteur quatre», adoublé par Chirac). Ils ont été consulté par l’équipe de Syrota, voilà ce qu’ils en concluent à la lecture du rapport:«Les deux seuls scénarios étudiés par le [rapport Syrota] reposent sur des hypothèses très proches entre elles, mais très éloignées d’une rupture énergétique pourtant invoquée par le rapport : trop peu d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables, aucune politique territoriale décentralisée de l’énergie et le nucléaire, dogme intangible, considéré comme seul moyen sérieux de lutte contre le changement climatique.»

Négawatt ajoute, et de nombreuses études l’ont montré, que le scénario qu’elle propose (efficacité énergétique, énergies propres, décentralisation de la production, sans recours supplémentaire au nucléaire) serait nettement plus bénéfique à l’emploi. «Un vrai travail d’expertise énergétique, pluraliste et démocratique, reste à construire : pour que le Grenelle de l’Environnement ne se transforme pas en Yalta des grands groupes énergétiques, il faudra faire preuve de beaucoup plus d’imagination que la simple poursuite des recettes du passé!», conclut le communiqué de Négawatt.

Chez Global Chance, sous la houlette de Benjamin Dessus, on ne dit guère autre chose. On souligne qu’un renforcement de la consommation d’électricité augmenterait paradoxalement les besoin de brûler du gaz et du pétrole pour passer les fameuses heures de pointe: l’hiver, comme depuis toujours, et l’été, avec le boom de la climatisation et les fermetures de centrales pour entretien. «Si la Commission Syrota voulait nous asséner une démonstration éclatante de l’inanité du ”tout électrique tout nucléaire” qu’on continue à nous présenter comme la solution au problème climatique, on ne s’y prendrait pas autrement!»

A entendre le renouveau des atomistes, on a bien compris que la rupture voulue par Sarkozy s’arrête aux portes des lobbies industriels. J’ai vraiment l’impression de me retrouver dans les années soixante-dix. En terme d’énergie, c’est autant la vague rétro que dans le domaine musical. On reforme les vieux groupes et on repart à l’assaut des ondes.

Image. Non loin de la centrale nucléaire de Gravelines (Nord). © D.Dq 2007

(1) Les antiéoliens, eux, c’est le comité du «six octobre»
(2) La Commission Energie du Centre d’Analyse Stratégique. « Perspectives énergétiques de la France à l’horizon 2020-2050 »

7 commentaires

  1. A tout niveau idéal, on évite ainsi de laisser aux entités locales un trop gros contrôle sur leurs besoin & production, même si aspect tiers il demeure que c’est au niveau de la proximité que la gestion de l’énergie doit être assumé en premier lieu, utilisant des ressources communautaires pour le trop plein soit sur une base de fonctionnement périodique.

  2. Mais la voie de la sobriété n’est-ele pas défavorable aux pays en voie de développement ? comment faire pour eux ? comment ne pas leur dire grosso modo « et « en plus maintenant pour vous développer c’est trop tard : il fallait polluer avant, comment les pays occidentaux pour prendre une avance suffisante et enjoindre à la sobrité ensuite » ? Car sinon le développement durable sera quasiment un nouvel et sohistiqué outil de néo-colonialkisme ou d’impérialisme tout ça, non ?
    Et la réponse, je ne l’ai pas.

  3. Author

    C’est bien là tout le risque, Eric. Bien évidemment, il n’est pas question de leur dire: «tant pis pour vous». La responsabilité du pollueur (l’occident) c’est aussi de payer de sa personne pour aider les victimes. Par des transferts de technologie, par un appui logistique, par la formation, l’éducation. Tout comme dans les pays riches, l’efficacité énergétique n’a que des vertus puisqu’elle évite des dépenses considérables. Aider un pays pauvre à se doter d’infrastructures de transport collectif, c’est aussi une invite à ne pas rejoindre notre soif de voitures. Aider un pays à ne pas se jeter tête baissée dans la culture agroalimentaire d’exportation au point de devoir importer ses denrées, c’est aussi freiner ce gaspillage insensé dans les transports de marchandises. Le développement durable, ça marche partout. Voir par exemple le papier de Sylvestre Huet dans Libération mardi (rubrique Futurs), sur l’utilisations de moustiquaires anti-palu pour protéger les cultures sans abuser de pesticides.

  4. je crois que vous faites une erreur profonde. En tant que dirigeant de la Societe Francaise de Physique (SFP), nous avons invite il y a une dizaine d’annees Monsieur Benjamin Dessus a nous exposer ses vues. A cette epoque, les idees sur le probleme de l’effet de serre et de l’avenir energetique n’etaient pas bien claires, et nous avions grand besoin de reflechir. Nous avons ecoute son expose et nous avons rencontre un monsieur qui etait dogmatiquement anti-nucleaire: il expliquait avoir etudie la Physique pour montrer combien on pouvait trouver autre chose que l’energie nucleaire pouvait etre evitee. La meme ligne se retrouve dans Negawatt.

    Bien entendu, avoir des convictions n’est pas interdit pour un scientifique! Mais dans ces deux cas, cela aboutit a un aveuglement, et il est normal qu’un organisme comme la Commission Sirota relativise ce type de point de vue, comme nous l’avons fait a la SFP. Vous etes de toute evidence dans ce meme courant, et je regrette que la reflexion sur les problemes energetique soit tellement polluee par des a-prioris qui me semblent plutot religieux.

    La question: en se serrant la ceinture, comme le proposent ces militants, est-il possible d’imaginer que le monde se developpe sans utiliser l’energie nucleaire pour limiter l’effet de serre, et pallier l’epuisement des ressources fossiles? Je ne le pense pas, et vous allez avoir de plus en plus de mal a en convaincre les scientifiques, et-de plus en plus- le public. Je pesne que l’energie nucleaire sera notre grand ecarte maitresse. Pas suffisante, mais necessaire! Comment nier qu’une meilleure utilisation et des economies de l’energie sont aussi necessaires?

    Quant a l’argument des paysages, je me rappelle bien que leur esthetique a ete a cette periode utilisee par les antinuclaires pour crtiquer les centrales…Mais j’aime mon pays, et je prefere reserver aux landes allemandes la foret d’eoliennes…

  5. Excusez mon esprtit de l’escalier: il y a un autre ponit de votre article sur lequel j’ai un peu essaye de reflechir: cette conviction que je rencontre dans les milieux antinucleaires que l’on peut efficacement produire de l’energie necessaire au fonctionnement d’un pays moderne de maniere decentralisee. J’excluerai da la discussion les regions qui ne beneficient pas -encore?-d’un reseau electrique.

    D’abord, si on produit de l’electricite, les rendements des installations sont en general meilleurs avec de grosses installations. De plus, les couts en personnel sont reduits. Si ce dernier point importe peu aux apotres de la decroissance, le premioer est important. Par exemple, dans les projets allemands, on trouve des eoliennes (qui ne peuvent tourner que 20% du temps) couplees a des turbines a gaz: or une turbine a gaz de petite puissance a un rendement inferieur a 30%, alors que les grandes centrales, avec des cycles hybrides turbine a gaz-turbine a vapeur ont un rendement autour de 60%. On trouve d’autres projets aussi idiots, du genre utliser une turbine a gaz combinee a la recuperation de la cahleur pour chauffage. En Bretagne, on cemmence a faire des installation de chauffage de serres ou on n’apas tout le temps besoin de chaleur, alors on revend de l’electricite faite avec une petite turbine. Je ne pense pas que ca soit tres ecolo! Les serres chauffees visent a produire en Bretagne des legumes qu’on produit sans serre dans le midi, et le rendement electrique est mauvais pour des petites tailles…

    Si on veut stocker le CO2, il faut de grosses installations, si on veut depolluer, c’est aussi plus facile. Je ne vois pas l’interet de ces installations. De plus, si on veut par exemple developper l’eolien, comme cela est tres aleatoire, il faut prevoir d’amener l’energie d’ailleurs. En Allemagne, ca a abouti a la necessite de renforcer les lignes THT entre le Nord (20 Gw eolien de puissance crete installees) et les centrales (nucleaires ou autres) du Sud, et ca explique la Gross Kata du debut de l’annnee. On voit aussi les champions de l’eolien francais disserter sur la complementarite des vents mediterraneens avec les vents bretons! Mais comment ces ecolos vont-ils transporter l’electricite de Bretagne sur la cote du midi et vice-versa? Deja ils s’opposent a la ligne HT de Flamanville a la Bretagne (qui a un tres gros deficit, que ne comblera pas l’eolien)

    Enfin, la volonte de developper les energies decentralisees ressemble a ces amis de mon jeune temps qui fondaient des phalansteres communautaires: beaucoup de gens s’imaginent qu’on peut resoudre les difficultes du monde par de petites communautes. Nouvel avatar des vieilles lunes fourieristes, si bien critiquees a leur epoque par les grands penseurs du XIXeme siecle, qui ont vu dans le developpement de la grande industrie et des grandes nations une source de progres pour l’humanite. Je sais que cela est remis en cause par les apotres de la decroissance, moi, je tiendrai comme Voltaire le superflu comme bien necessaire et le retour a la nature comme le retour a la marche a quatre pattes!

    Je viens de lire l’excellent livre de Jean de Kervasdoue, « les precheurs de l’apocalipse » et je vous le conseille amicalement.

  6. Author

    @Karva. Dans son bilan prévisionnel sur l’électricité en 2007 publié aujourd’hui (tout frais donc), RTE, qui gère le réseau dedistribution électrique en France, démonte votre argumentation sur les problèmes posés par le couplage des éoliennes avec des turbines thermiques pour pallier le manque de vent. A la page 49 du rapport, on lit: « malgré l’intermittence du vent, l’installation d’eoliennes réduit les besoins en équipements thermiques nécessaires pour assurer le niveau de sécurité d’approvisionnement souhaité. On peut en ce sens parler de puissance substituée par les éoliennes.» La France a donc moins besoin des turbines que vous évoquez… Et RTE insiste, soulignant que pour une puissance éolienne installée de 15000MW (on en est très loin), cette situation restera inchangée.

  7. Toujours page 49, un peu plus loin, RTE, qui gère le réseau électrique français, nous dit que
    «  »le dimensionnement des moyens de production thermique est fortement lié aux excursions de demande à la pointe »
    puis que
    « les excursions de puissance à satisfaire par les équipements thermiques ne sont que modérement accrues : de manière négligeable pour un parc éolien de petite taille, mais de manière de plus en plus conséquente quand le parc éolien s’étoffe ».

    Alors ?

    Ne serait-ce pas que les équipements thermiques seront effectivement moins nombreux, mais fonctionneront plus souvent, car, limités jusqu’ici aux jours de grand froid, ils devront assumer aussi les jours sans vent ?? Quel bilan CO2 dans ces conditions ??

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