Au nord-ouest, étaient les glaçons

Un mythe de plus va tomber. Les spécialistes de l’observation des glaces polaires du grand Nord ont annoncé que le passage du nord-ouest est ouvert depuis quelques jours. Conséquence d’une fonte spectaculaire de la banquise cet été, cette route maritime qui a pris tant de vies humaines est libre, ou presque, à la navigation, à condition de disposer d’une coque capable de se jouer des growlers, ces gros glaçons nés du fractionnement des glaces de mer.

C’est Sébastien Cabot, le premier, qui aurait émis l’hypothèse de l’existence d’un passage qui relierait l’Atlantique au Pacifique, en passant par l’ouest. Né à Venise, ce navigateur britannique explora la région dès 1508-1509, même si les historiens ne sont pas tous d’accord sur le parcours exact. De nombreuses tentatives ont suivi au cours du XVIe siècle, sans succès. Au XIXe, il restait moins de 500 kilomètres de côtes à explorer par bateau. L’existence du passage avait été confirmée en 1822, mais par une route terrestre.

En dépit de l’équipement de ses deux navires (moteur à vapeur, chauffage, vivres pour quatre ans), l’expédition officielle (1845-1848) du britannique John Franklin échoue et les marins meurent les uns après les autres du scorbut et de faim. Quarante expéditions de secours seront lancées en dix ans par l’Amirauté britannique pour comprendre ce qui s’est passé. On retrouvera en 1981 des restes de l’expédition, dont trois corps de marins momifiés, le corps chargé de plomb: la mise en conserve avait été fait sans le soin nécessaire, et le plomb a donc du intoxiquer les deux équipages.

Vue du Pôle nord par le satellite Envisat. La ligne orange montre que le Passage du nord-ouest est libre à la navigation, tandis qu’il ne reste qu’un petit barrage de glace pour bloquer le Passage du nord-est. Du jamais vu depuis 1978 qu’on observe la région par satellite © ESA.

Le passage du nord-ouest n’a pu être franchi par mer qu’en 1905 par le norvégien Amundsen, qui sera vainqueur six ans plus tard du pôle Sud. Parti de Norvège à bord d’un voilier en juin 1903 (photo), il rencontre dans le Pacifique un baleinier venu de San Francisco, le 26 août 1906: la route est ouverte, à condition de se laisser prendre par les glaces l’hiver. L’exploit ne sera renouvelé par un voilier qu’en 1977, grâce au périple de Willy De Roos. Huit ans plus tôt, rappelle l’académicien Jean-François Deniau, dans son Dictionnaire amoureux de la mer (1), «un pétrolier géant, le Manhattan, le franchira en 1969. Pour le principe. Juste pour que tous ces marins ne soient pas morts pour rien.»

Mais Jean-François Deniau n’avait pas raison sur toute la ligne, car il explique aussi: «Là encore, la plus grande aventure maritime, qui a duré près de quatre siècles, n’offre pas d’intérêt aujourd’hui.» Pourtant, les grands pays s’étripent aujourd’hui pour savoir qui contrôlera cette nouvelle route maritime. Un cargo économisera sept mille kilomètres, un tiers du trajet, sur le parcours Rotterdam-Japon. Le Canada a réaffirmé sa souveraineté sur le Passage en avril dernier, et renforcé sa flotte de brise-glaces depuis 2005. Ce n’est plus virtuel, le grand Passage est véritablement ouvert, pour quelques semaines, cette fois sans avoir besoin de se laisser prendre par les glaces d’hiver.

(1) Editions Plon, 2002.

4 commentaires

  1. C’est triste, de les voir se battre pour savoir qui possède ce territoire alors que c’est une preuve irréfutable du réchauffement climatique. Les méfaits du pouvoir sur la nature humaine m’étonneront toujours … Dans un autre registre, saviez vous qu’à cause de la fonte des glaces en Antarctique cette fois, les courses de voilier autour du monde comme la prochaine Barcelona World Race doivent revoir la route maritime de leurs participants, pour éviter les Icebergs dévastateurs. Le monde fond 🙁

  2. Author

    Effectivement, et ce n’est pas nouveau. Lors du dernier Vendée-Globe, l’hiver 2004-2005, les organisateurs avaient placé dans les cinquantièmes hurlants des «portes virtuelles», des points de passage qu’il fallait laisser à tribord, autrement dit en remontant plus au nord, pour éviter de rencontrer trop d’icebergs. Et les images envoyées par Jean Le Cam, mon navigateur préféré, montraient des icebergs, preuve que les «bouées» virtuelles des organisateurs étaient déjà trop au sud. A l’époque, des icebergs étaient remontés jusque vers la Nouvelle-Zélande, une première depuis 1948, ce qui avait scotché marins et météorologistes.

  3. Le Passage du Nord-Ouest s’est effectivement ouvert. Du point de la navigation c’est une avancée qui va offrir aux navires transitant de l’Atlantique Nord au Pacifique Nord une route plus courte.
    Du point de vue écologique ceci comporte un danger. Le transit de grands navires, tôt ou tard, occasionnera une pollution accidentelle importante dans un environnement jusques alors protégé.
    D’autre part l’absence actuelle de toute infrastructure technique d’aide en cas d’avarie pourrait créer des problèmes dans le futur par suite de nécessaires implantations techniques.
    Du point de vue politique les tentions pourraient devenir vives, étant que la souveraineté du Canada sur les étendues maritimes au nord de son territoire n’a jamais été officiellement reconnue. Un incident diplomatique sérieux avait déjà eu lieu lors du l’affaire du Manhattan, le pétrolier USA.
    Conclusion : Le passage aurait mieux resté fermé.

  4. Author

    Enchanté de vous lire, cher Willy. Je dois avouer qu’en dépit d’une très solide culture du livre maritime, je n’ai jamais lu vos livres. Ce qui me rappelle qu’il n’est pas trop tard pour y remédier. En attendant, je suis entièrement d’accord avec vous sur la question du Passage du Nord-Ouest. Cette région était du fait de son inaccessibilité un sanctuaire. D’ici peu (certains prédisent une totale disparition de la banquise Arctique l’été dans moins de quinze ans), les appétits ouverts par ces contrées inexplorées ne manqueront pas de s’exprimer. mais tout bien réfléchi, je ne suis pas aussi sûr que vous de l’ouverture rapide de lignes maritimes saisonnières pour économiser du trajet, et donc du carburant, pour passer de l’Atlantique au Pacifique sans passer par Panama et son péage obligé. Car l’absence d’infrastructures techniques dans la région devrait faire réfléchir plus d’un armateur. Qui irait créer des ports qui ne serviraient, dans le pire des cas —du point de vue de la banquise— qu’une paire de mois par an?

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